Une Confédération Orientale comme solution de la Question dOrient (1905) | Page 6

Un Latin
avec l'espoir de le réaliser plus complètement dans
l'avenir. Il faudra donc que cette question soit une fois tranchée, et l'on serait peut-être
déjà entré dans cette voie, si les événements d'Extrême-Orient n'avaient concouru au
maintien de l'équilibre oriental européen, en appelant l'Empire moscovite sur les champs
de bataille de la Mandchourie et en enlevant l'espoir de son intervention à certains
éléments turbulents des Balkans.
Mais si les Bulgares ont cherché pour l'instant à améliorer leurs rapports avec la Turquie,
il n'en est pas moins vrai que la liquidation de l'Empire ottoman en Europe sera reprise
aussitôt que les événements le permettront. On sait sur quel ton menaçant le comte
Goluchowski, dans son dernier discours aux Délégations, s'est exprimé à l'adresse de la
Turquie, pour le cas où les réformes ne seraient pas strictement appliquées. Or celle-ci ne
saurait appliquer des réformes sérieuses et devenir un État dans l'acception occidentale du
terme, sans renverser les bases mêmes de sa constitution monarchique absolue.
Si, aujourd'hui, de grands États comme l'Autriche-Hongrie conservent péniblement leur
équilibre à la suite du réveil des nationalités, comment espérer que les chrétiens de
Turquie, opprimés depuis cinq siècles, puissent vivre en harmonie et coopérer à une
oeuvre de régénération avec les Turcs, dont les éloigne une haine nationale et religieuse?
Rien ne pourra donc adoucir les rapports entre Turcs et chrétiens; de nombreux
mouvements révolutionnaires, à commencer par ceux de 1821 et de 1854, puis de 1876,
et enfin les récents soulèvements bulgares, en sont la preuve.
C'est une chimère de croire que «l'homme malade» pourrait entrer en convalescence; que
la Turquie pourrait s'établir sur de nouvelles bases politiques, attirer les peuples chrétiens
comme des satellites dans l'orbite de son système de gouvernement, et appeler tous ses
sujets à une existence de liberté et de fraternité. Comment concilier ces idées avec la
doctrine mahométane, qui creuse un abîme entre les «croyants» et les infidèles? Ne
sont-elles pas en opposition formelle avec la conception de l'État ottoman, qui découle
des principes mêmes du Koran?
La Turquie a promis des réformes avant 1896, en 1878 et en 1888, sans jamais tenir
parole, soit qu'elle ne voulut point les opérer, soit aussi qu'elle fut sourdement
contrecarrée dans ses efforts par telle ou telle nation balkanique. Certains États sont, en
effet, intéressés à prolonger, sur des points donnés du territoire ottoman, un état
d'anarchie pour en tirer parti en vue soit de leurs intérêts particuliers du moment, soit de
leurs ambitions respectives d'avenir.

Il faut bien l'avouer, la Turquie fut toujours médiocrement guidée dans la bonne voie par
les puissances européennes, qui, tout en admettant en principe que la Sublime-Porte
participât aux avantages du droit européen (Traité de Paris, 1856), maintinrent en fait sur
son territoire le régime des capitulations, régime qui leur assurait d'énormes avantages en
Turquie et leur fournissait prétexte à des chicanes de toutes sortes.
En résumé, nous persistons à croire que malgré le très sérieux effort tenté par la
gendarmerie internationale en Macédoine, un plan de réformes, dans la véritable
acception du mot, ne pourra jamais être appliqué dans l'ensemble de l'Empire, dont
l'organisation ne comporte pas un esprit de suite suffisant.

CHAPITRE II
LES «ROUMIS» CONSIDÉRÉS DANS LEUR ENSEMBLE
Nous venons d'esquisser à larges traits les intérêts particuliers, contradictoires d'ailleurs,
de celles des grandes puissances qui, en raison de leur situation géographique, se croient
plus particulièrement appelées à bénéficier de la liquidation de l'Empire ottoman en
Europe. Nous allons résumer maintenant l'origine, l'état actuel et l'idéal politique des
éléments chrétiens qui peuplent la péninsule balkanique et qui, malgré la diversité
apparente des races,--diversité basée souvent sur la langue plutôt que sur l'origine
véritable,--offrent tant de points de ressemblance par le sang, la religion, le passé
historique, les traditions et les moeurs, tant de souvenirs communs, tant de communes
aspirations.
Dans le dernier volume des Mélanges historiques et religieux[7] de Renan, nous trouvons
un passage saisissant qui va venir à l'appui de notre thèse:
«Au-dessus de la langue et de la race; au-dessus même de la géographie, des frontières
naturelles, des divisions résultant de la différence des croyances religieuses et des cultes;
au-dessus des questions de dynastie, il y a quelque chose que nous plaçons: c'est le
respect de l'homme envisagé comme un être moral; en un mot, la véritable base d'une
nation, avant la langue, avant la race, c'est le consentement des populations, c'est leur
volonté de continuer (ou de commencer) à vivre ensemble... C'est qu'une nation, c'est
avant tout une âme, un esprit, une famille spirituelle, résultant pour le passé de souvenirs
communs, de gloires communes, quelquefois aussi de deuils communs, car le deuil
rassemble les coeurs autant que la gloire,... et pour le présent (c'est là un critérium d'une
évidence absolue), du consentement des populations.»
[Note 7: Paris, Calmann Lévy, 1904.]
Ce consentement, les
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