Douglas la lettre suivante:
"Je vous ai fait de la peine et j'en suis bien malheureux. Comme vous avez d? me trouver rude et dur! Je vous en prie, pardonnez-moi, parce que je vous aime. Si vous saviez ce que je sentis quand je vous vis presque craintive devant moi! J'aurais voulu me mettre à genoux pour vous demander pardon. En voyant vos larmes prêtes à couler, je me sauvai comme fou.
Ma Thérèse, j'aimerais mieux mourir cent fois que de vous faire souffrir. Je veux bien vous voir pleurer, mais comme vous pleuriez après avoir entendu l'aveu de mon amour. Si vous saviez comme ce souvenir m'est délicieux, comme mon coeur se reporte souvent à cette heure, la plus douce de ma vie, où, sur la grève de la Malbaie, je voyais couler vos larmes, ces larmes que vous ne sentiez pas, tant vous étiez émue.
Mon amie, je n'aurais jamais d? vous parler durement, je le regrette beaucoup et vous en demande encore pardon; mais, laissez-moi vous le dire, en vous déclarant que vous ne deviez pas essayer de changer mes croyances religieuses, je ne faisais que mon devoir. Je pourrais vous expliquer parfaitement pourquoi je ne serai jamais catholique. Je n'en ferai rien, ni maintenant, ni plus tard, par respect pour la candeur de votre foi. Que vous désiriez ce que vous appelez ma conversion, c'est peut-être très naturel, mais il faudra ne m'en parler _jamais._ Je ne suis pas de ceux qui changent de religion. De grace, ma chère Thérèse, ne touchez plus à cette question br?lante. J'ai assez souffert.
Charles aussi désirait me voir catholique, et, la veille de sa mort, il me pressa à ce sujet avec une tendresse extrême. Dans l'état où il était, je n'osais lui dire que je ne partagerais jamais ses croyances. Il le comprit. Et lui, l'ange gardien de ma jeunesse, demandait pardon à Dieu et s'accusait de m'avoir, par ses mauvais exemples, éloigné de la vraie foi.
Ah! Thérèse, si je pouvais vous dire ce que j'ai souffert dans ce moment et par ce souvenir, vous auriez pitié de moi, et vous ne me demanderiez jamais ce que je ne puis pas accorder.
Après cela, Charles ne me parla plus de religion; mais, m'attirant à lui, il tint longtemps ma tête appuyée contre son coeur, et alors, cet incomparable ami me conseilla de chercher ma consolation dans les joies de la charité. Admirable conseil qui m'a fait supporter mon malheur!
Dans ce que je viens de vous dire, il y a, je le sais, plusieurs choses qui vous affligeront, et j'en suis plus triste que vous ne sauriez croire. Mais il le fallait. Oui, il faut que vous le sachiez, mon éloignement pour le catholicisme est invincible. J'ai cédé à toutes les exigences de votre église, parce que, sans cela, vous ne m'épouseriez pas, mais je mourrai dans la religion où il a plu à Dieu de me faire na?tre, et n'essayez jamais de m'influencer là-dessus, car, aussi vrai que je vous aime, je ne vous le permettrai pas. Du reste, vous savez, que je tiendrai loyalement, fidèlement ce que j'ai promis.
Sans doute, ma chère Thérèse, il est triste qu'il y ait un point par lequel nos coeurs ne se toucheront jamais, mais n'allez pas conclure que nous nous en aimerons moins. Songez à l'attachement que j'avais pour Charles, à son amitié, qui était le bonheur de ma vie, comme sa mort en a été la grande, l'inexprimable douleur. N'ayez donc ni inquiétude, ni crainte. Je ne puis pas être catholique, mais je serai toujours votre ami le plus s?r et le plus tendre. D'ailleurs, puisque Dieu dirige tout, jusqu'au vol des oiseaux, n'est-ce pas lui qui nous a réunis?
Après les premiers mois de mon deuil, ceux qui s'intéressaient à moi me conseillèrent de me marier. Je laissai dire, et, suivant le désir de Charles, je m'occupai des malheureux. C'était la seule consolation que je pusse go?ter. Plus tard, je songeai au mariage; j'y inclinais par le besoin d'aimer, si grand dans mon coeur; mais il me fallait une affection élevée et profonde, l'amour comme je l'avais compris dans le moment le plus solennel, le plus déchirant de ma vie. Dieu m'a conduit vers vous, qui êtes tout ce que je souhaite, tout ce que j'ai rêvé, vers vous, de toutes les femmes la plus vraie, la plus aimante et la plus pure.
Dites-moi, Thérèse, croyez-vous vraiment que la différence de religion mette _un ab?me entre nous?_ ? mon amie, comment avez-vous pu dire cette cruelle parole?
Il est vrai, nous ne professons pas tout à fait la même foi, mais, tous les deux, nous savons que Dieu nous aime et qu'il faut l'aimer; tous les deux, nous savons que secourir les pauvres est un bonheur et un devoir sacré; tous les deux, nous croyons que Jésus-Christ
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