nous a rachetés par son sang. Ma noble Thérèse, ma fiancée si chère, ne craignez donc pas d'être ma femme; ne craignez pas de vous appuyer sur mon coeur pour jusqu'à ce que la mort nous sépare par l'ordre de Dieu."
III
Il y a eu dix ans le 14 ao?t dernier, dans cette même salle où j'écris aujourd'hui, Thérèse Raynol et Francis Douglas signaient leur contrat de mariage. Il me semble les voir encore, si jeunes, si charmants, si heureux!
J'avais pour M. Douglas la plus parfaite estime, et pourtant je voyais arriver le jour du mariage avec une tristesse profonde, car j'aimais Thérèse avec la plus grande tendresse, et la seule pensée de m'en séparer m'était bien amère. La lecture du contrat, ces dispositions en faveur de celui des époux qui survivrait à l'autre me firent une impression pénible, et pendant qu'on me félicitait sur ce brillant mariage, j'avais grand' peine à contenir mes larmes. Pourquoi faut-il que la mort se mêle à tout dans la vie? Mais ces tristes réflexions me furent personnelles. La conversation se maintint animée et joyeuse entre les personnes invitées pour la circonstance. On rit, on chanta, on fit de la musique dans cette maison où la mort allait entrer.
Un peu après le départ des invités, comme M. Douglas se levait pour se retirer: "Ne partez pas encore, lui dit Thérèse, je veux vous chanter le Salve Regina, c'est-à-dire, poursuivit-elle avec son charmant sourire, j'ai l'habitude de le chanter tous les soirs et aujourd'hui je veux que vous m'écoutiez. Ce chant à la Vierge était une de nos plus douces et plus chères habitudes. La voix de Thérèse était fort belle, et ce soir-là elle y mit une indicible expression de confiance et d'amour. Ah! comment la Vierge, mère à jamais bénie, e?t-elle pu ne pas entendre cette ardente prière? M. Douglas, plus ému qu'il ne voulait le para?tre, gardait un profond silence. Thérèse se rapprocha de lui et dit: Francis, mon cher ami, ne voulez-vous pas que la sainte Vierge nous protège et nous garde? Il ne répondit pas, mais la regarda pendant quelques instants avec une expression indéfinissable, puis nous souhaita le bonsoir, et partit.
Je suivis Thérèse dans sa chambre. Après la prière, que nous f?mes ensemble, elle prit le charmant bouquet de roses que Francis lui avait apporté ce jour-là et le pla?a devant l'image de la Vierge. Rentrée dans ma chambre, je priai avec ferveur demandant à Dieu la force de supporter l'éloignement de ma fille chérie. Hélas! que j'étais loin de prévoir le coup terrible qui allait me frapper!
Je dormais depuis quelque temps quand je fus réveillée par un rêve pénible. Je me levai pour me remettre, et je passai dans la chambre de Thérèse. Elle était assise sur son lit, la figure si altérée, si bouleversée qu'une crainte horrible me serra le coeur; elle essaya pourtant de sourire en me disant qu'elle ressentait une étrange douleur à la gorge. J'envoyai aussit?t chercher un médecin. Quand je revins, elle me pria de placer un cierge devant l'image de la Vierge et voulut elle-même l'allumer. Puis, joignant les mains, elle se recueillit dans une prière fervente. Ensuite elle me passa les bras autour du cou, me rapprocha d'elle, et me fit baiser le crucifix que je lui avais donné le jour de sa première communion, et qu'elle avait toujours porté depuis.
--Mère, dit-elle, vous savez que la volonté de Dieu doit toujours être adorée et bénie. Je ne me suis jamais sentie orpheline, continua-t-elle tout attendrie, car vous avez été pour moi la meilleure des mères; que Dieu vous récompense et qu'il vous console, ajouta-t-elle avec effort, car je sais que je vais mourir.
--Mon enfant, répondis-je toute troublée, comment peux-tu parler ainsi? La souffrance t'égare.
Elle me regarda; je vois encore l'expression de ses beaux yeux calmes et profonds.
--écoutez, dit-elle; j'ai offert à Dieu mon bonheur et ma vie pour la conversion de Francis. Mon sacrifice est accepté, j'en suis s?re. N'en dites rien à Francis. Il vaut mieux qu'il l'ignore jusqu'à ce que Dieu l'éclaire.
Ces paroles retentirent dans mon coeur comme son glas funèbre. ? mon Dieu, pardonnez-moi. Il me sembla que c'était payer trop cher le salut d'une ame. Je la regardais avec égarement; je l'étreignis dans mes bras comme pour la disputer à la mort et je lui dis à travers mes sanglots:
--C'est trop cruel. Thérèse, mon enfant, rétracte-toi.
--Laissons faire le bon Dieu, répondit-elle simplement. Il saura vous consoler, vous et lui. J'ai eu, moi aussi, un moment d'angoisse terrible, maintenant c'est passé.
Et alors elle me dit qu'en voyant comme Francis demeurait préjugé, aveuglé, malgré les prières continuelles qu'elle faisait faire pour sa conversion, elle avait cru que Dieu voulait peut-être la faire contribuer à son salut plus que par la prière, et qu'elle avait offert son bonheur et sa vie
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