étranger aux sentiments que ce souvenir réveille. Mais sur le rocher où le sang de Jésus-Christ a coulé, je demandai pour lui la foi. Oui, mon Dieu, vous m'exaucerez. Je le verrai catholique. Ce froid protestantisme n'est pas fait pour lui.
Nous pr?mes le d?ner sur l'herbe, dans le voisinage de la roche pleureuse. Cet endroit de l'?le est d'une beauté ravissante. Il y règne un calme profond, une fra?cheur délicieuse. La journée avait ce charme particulier à l'automne. Francis semblait enchanté, et s'oubliait devant cette belle nature.
--C'est beau, et je suis heureux, me dit-il.
--Alors, remercions Dieu, car moi aussi je suis heureuse.
Il ne répondit rien, mais je vis briller cette flamme lumineuse qui s'allume parfois dans son regard.
Les conversations s'éteignaient; je ne sais pourquoi mon ame inclina tout à coup à la tristesse: notre vie s'écoule, pensai-je en écoutant le bruit des vagues sur la grève, chaque flot en emporte un moment. Presque sans me rendre compte de ce mouvement, je me tournai vers Francis:
--Vous connaissez cette pensée d'une femme célèbre: Sommes-nous heureux, les bornes de la vie nous pressent de toutes parts.
--C'est douloureusement vrai.
Et nous parlames de cette soif de l'infini qui fait notre tourment et notre gloire. Sa sensibilité, si vive et si profonde, le rendait parfois éloquent. Jamais je n'avais compris, comme en l'écoutant, notre _misère très auguste_, notre _grandeur très misérable_. J'aurais voulu lui dire quelle force les catholiques trouvent dans la communion, mais je n'osai pas. Il faut avoir re?u Jésus-Christ dans son coeur, pour comprendre la joie de cette union qui _éteint tous les désirs_. La belle voix d'Elmire chantait:
Vole haut, près de Dieu; les seules amours fidèles sont avec lui.
Ces paroles me marquèrent, et Francis s'en aper?ut. Il se mit à me parler de son amour pour moi:
--Je préférerais vous entendre dire que vous aimez Dieu.
Il me répondit avec une douceur incomparable:
--Si vous l'aimiez moins, je ne vous aimerais pas comme je vous aime.
On le pria de chanter. Il y consentit et me dit:
--Je n'ai jamais chanté depuis la mort de mon pauvre Charles, mais aujourd'hui il me semble que je trouverai de la douceur à vous chanter quelque chose que ce cher ami aimait et chantait souvent.
Il commen?a les Adieux de Schubert. Ah! quelle émotion, quelle puissance de sentiment il y avait dans sa voix, et comme j'aurais voulu être seule pour pleurer à mon aise! Qu'elle est touchante cette amitié qui survit à la mort, au temps et à l'amour! Certes, je suis profondément sensible à tout ce qui le touche. Je donnerais ma vie pour lui épargner une douleur, et pourtant je vois avec une sorte de joie que rien ne le consolera jamais entièrement de la mort de son ami. Il est si bon d'être aimé d'un coeur qui n'oublie point! Oui, je le sais, son ami lui manquera toujours, toute ma tendresse sera impuissante à le consoler complètement, mais aussi, si je mourais, personne ne me remplacerait dans son coeur. Dieu seul pourrait le consoler, et de lui je ne suis pas jalouse.
Nous laissames l'?le vers le soir. Le retour fut enchanteur. Je regardais autour de moi, et une sécurité profonde, une paix inexprimable remplissait mon coeur.
? mon Dieu, vous êtes bon, la vie est douce et la terre est belle!
Le mariage de Thérèse était fixé à l'été suivant. Dans le mois de juin elle écrivait dans son journal:
"Mon Dieu, pourquoi ne m'exaucez-vous pas? J'attendais tant des prières continuelles que je fais faire pour lui, et voilà que je suis bien près de désespérer.
Ce matin, je rencontrai Francis en sortant de l'église du Gesù. J'avais bien prié pour lui. J'osai le lui dire, et la première fois de ma vie, je lui parlai de mes espérances pour sa conversion. Il ne cacha pas son mécontentement et répondit avec une froideur glaciale:
--Je vous excuse en faveur de votre intention. Et il ajouta. Oh! les dures et cruelles paroles!--Vous vous abusez étrangement. Jamais je ne serai catholique. Comment osez-vous me parler de ce que vous appelez vos espérances?
Comme si je pouvais lui cacher toujours le voeu le plus ardent de mon coeur! Mais non, il ne veut pas que je lui en parle jamais.--Et quand vous serez ma femme, a-t-il dit, ne m'obligez pas à vous le défendre.--Soit. Je ne lui en parlerai pas. Ce n'est pas sur ce que je pourrais lui dire que je compte.
? mon Dieu, vous aurez pitié de lui. Vous éclairerez cette ame, une des plus généreuses que vous ayez créées. Je vous le demande au nom de Jésus-Christ, faites-moi souffrir tout ce qu'il vous plaira, mais donnez-lui la foi sans laquelle il est impossible de vous plaire. Hélas! qui sait jusqu'à quel point les préjugés de l'éducation première aveuglent les ames les plus droites et les plus nobles?"
Le même jour Thérèse recevait de M.
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