lui et pour moi, en attendant qu'il vous connaisse.
Comme je m'agenouillais devant l'autel de la sainte Vierge, pour lui confirmer cette promesse, la lumière du soleil, glissant à travers les vitraux, fit à la statue comme une auréole de joie et de gloire; son doux visage sembla sourire.
Je sortis très calme et très heureuse. M. Douglas m'avait attendue. Il parla peu le long du chemin et ne fit aucune allusion à ce qui s'était passé entre nous, mais nous nous comprenions parfaitement. Sur le rivage, une pauvre femme ramassait péniblement les branches apportées par la mer.
--Rendons-la heureuse aussi, dit Francis.
Il me donna sa bourse et je la remis à la pauvre vieille, qui la re?ut en nous bénissant.
Nous marchions en silence.
Jamais je ne m'étais sentie si heureuse de vivre.
Les oiseaux chantaient, la mer chantait et mon ame aussi chantait. Il me semblait respirer la vie dans les senteurs des bois, dans les parfums de la mer. à l'horizon, le soleil baissait. Nous nous ass?mes sur les rochers pour le regarder coucher. Je n'oublierai jamais ce tableau: devant nous, le Saint-Laurent si beau sous sa parure de feu; au loin, les montagnes bleues; partout une splendeur enflammée sur ce paysage enchanteur. Francis regardait enthousiasmé, mais son noble visage s'assombrit tout à coup.
--Pourquoi faut-il que les beaux jours finissent, me dit-il tristement.
J'étais heureuse, enchantée, ravie, et je lui dis:
--Ne soyons pas ingrats. Regardez autour de vous, et dites-moi ce que sera la patrie, puisque l'exil est si beau.
Il me regarda avec une expression que je n'oublierai jamais, et répondit à voix basse:
--Dites plut?t: Regardez dans votre coeur.
Et un peu après il continua:
--L'amour fait comprendre le ciel, mais ce beau coucher de soleil me rappelle que la vie passe.
La soirée s'est passée à l'h?tel. Francis était très grave, mais il y avait dans sa voix une douceur pénétrante qui ne lui est pas ordinaire, et quand je rencontrais son regard, j'y voyais luire cette lumière fugitive qui traverse parfois ses yeux comme un éclair. Il ne me parla guère; mais, sans rien faire qui puisse attirer l'attention, il a l'art charmant de me laisser voir qu'il s'occupe de moi. Cette bonne Mme L..., s'adressant à Mlle V... et à moi, nous fit observer que M. Douglas avait l'air heureux.
--Ce que je vois le mieux, c'est qu'il est bien bon, répondit Mlle V...,--qui se pique de dire toujours ce qu'elle pense, et un instant après elle ajouta:--Je voudrais bien savoir pourquoi il est ce soir aussi grave, aussi recueilli qu'un jésuite qui sort de retraite.
21 ao?t.
Comme j'ouvrais ma fenêtre ce matin, un bouquet adroitement lancé tomba à mes pieds.--Remerciez-moi, dit Francis quand nous nous rencontrames.--Je remerciai, mais avec des restrictions sur la manière d'offrir les fleurs. Il m'écouta avec ce sourire qui éclaire son visage--et mon coeur aussi.
--Si vous saviez, me dit-il, depuis combien de temps j'attendais pour vous l'offrir!
Et il chanta à demi-voix:
à l'heure où s'éveille la rose, Ne dois-tu pas te réveiller?
J'ai porté son bouquet à l'église. Je veux qu'il se fane devant le saint sacrement, et quand il sera flétri, j'irai le reprendre pour le conserver toujours. Seigneur Jésus, vous êtes au milieu de nous et il ne vous conna?t pas. Il ne croit pas au mystère de votre amour. Mais vous pouvez lui ouvrir les yeux de l'ame, et le faire tomber croyant et ravi à vos pieds.
Aujourd'hui, je suis allée voir une jeune fille morte la nuit dernière. J'avais besoin de me pénétrer de quelque grave pensée, car j'étais comme enivrée de mon bonheur. Je restai longtemps à c?té du lit où la pauvre enfant était couchée dans cette attitude effrayante qui n'appartient qu'à la mort. La croix noire tranchait lugubrement sur la blancheur du drap qui la couvrait. Je soulevai le linceul et regardai longtemps. Ah! Francis, serait-il possible de ne nous aimer que pour cette vie qui passe?
Tout passe et nous passerons comme tout le reste, mais je veux que celui de nous qui survivra à l'autre puisse dire ce qu'Alexandrine de la Ferronnays écrivait après la mort d'Albert: "? mon Dieu, souvenez-vous que pas une parole de tendresse n'a été échangée entre nous, sans que votre nom ait été prononcé et votre bénédiction implorée."
7 septembre.
Hier, nous avons fait une promenade à l'?le-aux-Coudres, excursion que la présence de Francis m'a rendue vraiment délicieuse. Puis, il y a maintenant dans mon ame quelque chose qui donne à la nature une splendeur que je ne lui connaissais pas. Mon Dieu, quel sera donc le ravissement de vous aimer dans votre ciel si beau, puisque, dès cette vie, il y a tant de bonheur à aimer vos créatures!
Au havre Jacques-Cartier, nous nous sommes agenouillés à l'endroit où la messe a été dite pour la première fois au Canada. Je ne regardai pas M. Douglas. Il m'était pénible de le voir
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