son cou plus mignon et son attitude recueillie. La cloche tinta. Les têtes
se courbèrent; il y eut un silence. Aux éclats de l'orgue, les chantres et
la foule entonnèrent l'Agnus Dei; puis le défilé des garçons commença;
et, après eux, les filles se levèrent. Pas à pas, et les mains jointes, elles
allaient vers l'autel tout illuminé, s'agenouillaient sur la première
marche, recevaient l'hostie successivement, et dans le même ordre
revenaient à leurs prie-Dieu. Quand ce fut le tour de Virginie, Félicité
se pencha pour la voir; et, avec l'imagination que donnent les vraies
tendresses, il lui sembla qu'elle était elle-même cette enfant; sa figure
devenait la sienne, sa robe l'habillait, son coeur lui battait dans la
poitrine; au moment d'ouvrir la bouche, en fermant les paupières, elle
manqua s'évanouir.
Le lendemain, de bonne heure, elle se présenta dans la sacristie, pour
que M. le curé lui donnât la communion. Elle la reçut dévotement, mais
n'y goûta pas les mêmes délices.
Mme Aubain voulait faire de sa fille une personne accomplie; et,
comme Guyot ne pouvait lui montrer ni l'anglais ni la musique, elle
résolut de la mettre en pension chez les Ursulines d'Honfleur.
L'enfant n'objecta rien. Félicité soupirait, trouvant Madame insensible.
Puis elle songea que sa maîtresse, peut-être, avait raison. Ces choses
dépassaient sa compétence.
Enfin, un jour, une vieille tapissière s'arrêta devant la porte; et il en
descendit une religieuse qui venait chercher Mademoiselle. Félicité
monta les bagages sur l'impériale, fit des recommandations au cocher,
et plaça dans le coffre six pots de confitures et une douzaine de poires,
avec un bouquet de violettes.
Virginie, au dernier moment, fut prise d'un grand sanglot; elle
embrassait sa mère qui la baisait au front en répétant--: «Allons! du
courage! du courage!» Le marchepied se releva, la voiture partit.
Alors Mme Aubain eut une défaillance; et le soir tous ses amis, le
ménage Lormeau, Mme Lechaptois, ces demoiselles Rochefeuille, M.
de Houppeville et Bourais se présentèrent pour la consoler.
La privation de sa fille lui fut d'abord très-douloureuse. Mais trois fois
la semaine elle en recevait une lettre, les autres jours lui écrivait, se
promenait dans son jardin, lisait un peu, et de cette façon comblait le
vide des heures.
Le matin, par habitude, Félicité entrait dans la chambre de Virginie, et
regardait les murailles. Elle s'ennuyait de n'avoir plus à peigner ses
cheveux, à lui lacer ses bottines, à la border dans son lit,--et de ne plus
voir continuellement sa gentille figure, de ne plus la tenir par la main
quand elles sortaient ensemble. Dans son désoeuvrement, elle essaya de
faire de la dentelle. Ses doigts trop lourds cassaient les fils; elle
n'entendait à rien, avait perdu le sommeil, suivant son mot, était
«minée».
Pour «se dissiper», elle demanda la permission de recevoir son neveu
Victor.
Il arrivait le dimanche après la messe, les joues roses, la poitrine nue, et
sentant l'odeur de la campagne qu'il avait traversée. Tout de suite, elle
dressait son couvert. Ils déjeunaient l'un en face de l'autre; et, mangeant
elle-même le moins possible pour épargner la dépense, elle le bourrait
tellement de nourriture qu'il finissait par s'endormir. Au premier coup
des vêpres, elle le réveillait, brossait son pantalon, nouait sa cravate, et
se rendait à l'église, appuyée sur son bras dans un orgueil maternel.
Ses parents le chargeaient toujours d'en tirer quelque chose, soit un
paquet de cassonade, du savon, de l'eau-de-vie, parfois même de
l'argent. Il apportait ses nippes à raccommoder; et elle acceptait cette
besogne, heureuse d'une occasion qui le forçait à revenir.
Au mois d'août, son père l'emmena au cabotage.
C'était l'époque des vacances. L'arrivée des enfants la consola. Mais
Paul devenait capricieux, et Virginie n'avait plus l'âge d'être tutoyée, ce
qui mettait une gêne, une barrière entre elles.
Victor alla successivement à Morlaix, à Dunkerque et à Brighton; au
retour de chaque voyage, il lui offrait un cadeau. La première fois, ce
fut une boîte en coquilles; la seconde, une tasse à café; la troisième, un
grand bonhomme en pain d'épices. Il embellissait, avait la taille bien
prise, un peu de moustache, de bons yeux francs, et un petit chapeau de
cuir, placé en arrière comme un pilote. Il l'amusait en lui racontant des
histoires mêlées de termes marins.
Un lundi, 14 juillet 1819 (elle n'oublia pas la date), Victor annonça qu'il
était engagé au long cours, et, dans la nuit du surlendemain, par le
paquebot de Honfleur, irait rejoindre sa goëlette, qui devait démarrer du
Havre prochainement. Il serait, peut-être, deux ans parti.
La perspective d'une telle absence désola Félicité; et pour lui dire
encore adieu, le mercredi soir, après le dîner de Madame, elle chaussa
des galoches, et avala les quatre lieues qui séparent Pont-l'Évêque de
Honfleur.
Quand elle fut devant le Calvaire, au lieu de prendre à gauche, elle
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