avec une
sorte de tristesse et un étrange pressentiment, je suis appelé à une
destinée orageuse; il faut en suivre le cours jusqu'à ce que j'aie fait le
dernier sacrifice que je pourrai offrir à ma patrie.» Il venait à peine
d'être appelé à ces fonctions que le roi et la reine quittaient les Tuileries
et Paris.
On connaît les tristes péripéties de l'arrestation de Varennes.
Robespierre fut de ceux qui alors proposèrent la mise en accusation du
roi pour avoir déserté son poste. Toutefois, il se montra opposé, comme
s'il eût prévu un piège, à la pétition fameuse, rédigée par Laclos, au
sujet de la déchéance, pétition que l'on devait colporter au
Champ-de-Mars dans la journée du 17 juillet, et qui devait être arrosée
de tant de sang français.
Le soir même de cette journée, un grand changement se fit dans la vie
de Robespierre. Jusque-là, il avait demeuré, isolé, dans un petit
appartement de la rue de Saintonge, au Marais, depuis le retour de
l'Assemblée à Paris. Dans la soirée du 17, comme on craignait que la
cour et les ministres ne se portassent à quelque extrémité sur les
meilleurs patriotes, M. et Mme. Roland l'engagèrent à venir habiter
avec eux, mais il préféra l'hospitalité qui lui fut offerte par le menuisier
Duplay, son admirateur passionné, qui allait devenir son ami le plus
cher, et dont, jusqu'à sa mort, il ne devait plus quitter la maison, située
rue Saint-Honoré, à quelques pas de l'ancien couvent des Jacobins.
Jusqu'à la fin de la Constituante, il ne cessa de lutter avec une
intrépidité stoïque contre l'esprit de réaction qui l'avait envahie.
Lorsque le dernier jour du mois de septembre 1791, le président
Thouret eut proclamé que l'Assemblée avait terminé sa mission, une
scène étrange se passa à la porte de la salle. Là, le peuple attendait, des
couronnes de chêne à la main. Quand il aperçut Robespierre et Pétion,
il les leur mit sur la tête. Les deux députés essayèrent de se dérober à ce
triomphe en montant dans une voiture de place, mais aussitôt les
chevaux en furent dételés et quelques citoyens s'attelèrent au fiacre,
tenant à honneur de le traîner eux-mêmes. Mais déjà Robespierre était
descendu de la voiture; il rappela le peuple au respect de sa propre
dignité, et, accompagné de Pétion, il regagna à pied la demeure de son
hôte, salués l'un et l'autre, sur leur passage, de ces cris d'amour: «Voilà
les véritables amis, les défenseurs des droits du peuple.» Ici finit la
période la plus heureuse et la moins connue de la vie de Robespierre.
III
Après être allé passer quelques semaines dans son pays natal, qu'il
n'avait pas revu depuis deux ans, et où il fut également l'objet d'une
véritable ovation, il revint à Paris qu'il trouva en proie à une véritable
fièvre belliqueuse. Les Girondins, maîtres de l'Assemblée législative, y
avaient prêché la guerre à outrance, et leurs discours avaient porté au
suprême degré l'exaltation des esprits.
Au risque de compromettre sa popularité, Robespierre essaya de calmer
l'effervescence publique et de signaler les dangers d'une guerre
intempestive. La guerre, dirigée par une cour évidemment hostile aux
principes de la Révolution, lui semblait la chose la plus dangereuse du
monde. Ce serait, dit-il, la guerre de tous les ennemis de la Constitution
française contre la Révolution, ceux du dedans et ceux du dehors.
«Peut-on, raisonnablement, ajouta-t-il, compter au nombre des ennemis
du dedans la cour et les agents du pouvoir exécutif? Je ne puis résoudre
cette question, mais je remarque que les ennemis du dehors, les rebelles
français et ceux qui passent pour vouloir les soutenir, prétendent qu'ils
ne sont les défenseurs que de la cour de France et de la noblesse
française.» Il parvint à ramener à son opinion la plus grande partie des
esprits; les Girondins ne le lui pardonnèrent pas, et ce fut là le point de
départ de leur acharnement contre lui.
La guerre se fit néanmoins. Mais ses débuts, peu heureux, prouvèrent
combien Maximilien avait eu raison de conseiller à la France d'attendre
qu'elle fût attaquée avant de tirer elle-même l'épée du fourreau.
On vit alors Robespierre donner sa démission d'accusateur public,
aimant mieux servir la Révolution comme simple citoyen que comme
fonctionnaire. Il fonda, sous le titre de _Défenseur de la Constitution_,
un journal pour défendre cette Constitution, non pas contre les idées de
progrès, dont il avait été à la Constituante l'ardent propagateur, mais
contre les entreprises possibles de la cour, convaincu, dit-il, que le salut
public ordonnait à tous les bons citoyens de se réfugier à l'abri de la
Constitution pour repousser les attaques de l'ambition et du despotisme.
Il mettait donc au service de la Révolution son journal et la tribune des
Jacobins, dont il était un des principaux orateurs, se gardant bien, du
reste,
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