un éloge de Gresset, où se trouvent quelques pages qui semblent
le programme du romantisme et que l'on croirait détachées de la célèbre
préface de Cromwell, s'il n'était pas antérieur de plus de trente ans au
manifeste de Victor Hugo.
Cependant, on entendait retentir comme le bruit avant-coureur de la
Révolution. A la nouvelle de la convocation des États-généraux,
Robespierre publia une adresse au peuple artésien, qui n'était autre
chose qu'un acte d'accusation en bonne forme contre l'ancienne société
française. Aussi, sa candidature fût-elle vivement combattue par les
privilégiés qui, dans le camp du tiers-état, disposaient de beaucoup
d'électeurs. Il n'en fut pas moins élu député aux États-généraux le 26
avril 1789, et, presque tout de suite, il partit pour Paris où l'attendait
une carrière si glorieuse et si tragique.
II.
Ses débuts à l'Assemblée constituante furent modestes; mais il allait
bientôt s'y faire une situation prépondérante. Assis à l'extrême gauche
de l'Assemblée, il était de ceux qui voulaient imprimer à la Révolution
un caractère entièrement démocratique, et il s'associa à toutes les
mesures par lesquelles le tiers-état signala son avènement. Toutes les
libertés eurent en lui le plus intrépide défenseur. Répondant à ceux qui
s'efforçaient d'opposer des restrictions à l'expansion de la pensée, il
disait: «La liberté de la presse est une partie inséparable de celle de
communiquer ses pensées; vous ne devez donc pas balancer à la
déclarer franchement.» Lorsque l'Assemblée discuta une motion de
Target, tendant à faire proclamer que le gouvernement était
monarchique, il demanda que chacun pût discuter librement la nature
du gouvernement qu'il convenait de donner à la France.
Accueilli par les cris: _A l'ordre! à l'ordre!_ il n'en insista pas moins,
vainement d'ailleurs, pour la prise en considération de sa motion. Ses
tendances démocratiques se trouvaient donc nettement dessinées dès
cette époque, et la cour le considérait comme son plus terrible
adversaire, d'autant plus redoutable qu'elle le savait inaccessible à toute
espèce de corruption.
Sa renommée allait grandissant de jour en jour. Ses efforts désespérés
et vains pour faire pénétrer dans la Constitution nouvelle le suffrage
universel, achevèrent de porter au comble sa popularité.
Mais il n'y avait pas que les prolétaires qui fussent privés du droit de
participer aux affaires publiques. Deux classes d'hommes, sous l'ancien
régime, étaient complètement en dehors du droit commun, c'étaient les
juifs et les comédiens. L'abbé Maury, ayant proposé de maintenir leur
exclusion de la vie civile, Robespierre s'élança à la tribune: «Il était bon,
dit-il, en parlant des comédiens, qu'un membre de cette Assemblée vînt
réclamer en faveur d'une classe trop longtemps opprimée....» Et, à
propos des juifs: «On vous a dit sur les juifs des choses infiniment
exagérées et souvent contraires à l'histoire. Je pense qu'on ne peut
priver aucun des individus de ces classes des droits sacrés que leur
donne le titre d'hommes. Cette cause est la cause générale....» Plus
heureux cette fois, il finit par triompher, grâce au puissant concours de
Mirabeau.
«Cet homme, ira loin, disait ce dernier, il croit tout ce qu'il dit.» Il
n'était pas de question importante où il n'intervînt dans le sens le plus
large et le plus démocratique. Dans les discussions relatives aux
affaires religieuses, il se montra, ce qu'il devait rester toujours, le
partisan de la tolérance la plus absolue et le défenseur résolu de la
liberté des cultes, n'hésitant pas d'ailleurs à appuyer de sa parole, même
contre le sentiment populaire, ce qui lui paraissait conforme à la justice
et à l'équité.
Ce fut à sa voix que l'Assemblée constituante décida qu'aucun de ses
membres ne pourrait être promu au ministère pendant les quatre années
qui suivraient la session, ni élu à la législature suivante, double motion
qui dérangea bien des calculs ambitieux, et qui témoignait de son
profond désintéressement. Il jouissait alors d'un ascendant considérable
sur ses collègues. Les journaux de l'époque célébraient à l'envi ses
vertus, ses talents, son courage, son éloquence. Déjà, le peuple l'avait
salué du nom d'Incorruptible, qui lui restera dans l'histoire.
En revanche, il était en butte à la haine profonde de la réaction. Mais
cela le touchait peu. «Je trouve un dédommagement suffisant de la
haine aristocratique qui s'est attachée à moi dans les témoignages de
bienveillance dont m'honorent tous les bons citoyens», écrivait-il à un
de ses amis, le 1er avril 1790. Il venait d'être nommé président de la
_Société des Amis de la Constitution_, dont il avait été l'un des
fondateurs.
Au mois de juin de l'année suivante, il était nommé accusateur public
par les électeurs de Versailles et de Paris. Il accepta, non sans quelque
hésitation, la place d'accusateur près le tribunal criminel de Paris.
«Quelque honorable que soit un pareil choix», écrivait-il à l'un de ses
amis à Arras, «je n'envisage qu'avec frayeur les travaux pénibles
auxquels cette place va me condamner ... mais, ajoute-t-il
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