Thermidor | Page 5

Ernest Hamel
justice, là est la vérité, là est le
salut de la démocratie.»
ERNEST HAMEL
Mars 1891.

CHAPITRE PREMIER

Enfance et jeunesse de Robespierre.--Ses succès au barreau.--Son goût
pour les lettres.--La société des Rosati.--Discours sur les peines
infamantes.--L'éloge de Gresset.--Robespierre est nommé député aux
États-généraux.--Le suffrage universel.--Juifs et comédiens.--
Popularité de Robespierre.--La pétition Laclos.--Robespierre chez
Duplay.--Triomphe de Robespierre.--Discussions sur la guerre.--
Dumouriez aux Jacobins.--Le bonnet rouge.--Le 10 août.--Les
massacres de septembre.--L'accusation de dictature.--Lutte entre la
Gironde et la Montagne.--Le tribunal révolutionnaire.--Les 31 mai et 2
juin.--Les 73 girondins sauvés par Robespierre.--Voix d'outre
tombe.--Le colossal effort de la France.--Lutte en faveur de la tolérance
religieuse. --Maladie de Robespierre.--Fin de l'hébertisme.--Les
Dantonistes sacrifiés.--Effet de la mort des Dantonistes.--Hoche et
Robespierre.-- Reconnaissance de l'Être suprême.
I.
Avant de mettre sous les yeux du public le drame complet de
Thermidor, d'en exposer, à l'aide d'irréfutables documents, les causes
déterminantes, et d'en faire pressentir les conséquences, il importe, pour
l'intelligence des faits, d'esquisser rapidement la vie de l'homme qui en
a été la principale victime et qui est tombé, entraînant dans sa chute
d'incomparables patriotes et aussi, hélas! les destinées de la
République.
Maximilien-Marie-Isidore de Robespierre naquit à Arras le 6 mai
1758[2]. Sa famille était l'une des plus anciennes de l'Artois. Son père
et son grand-père avaient exercé, l'un et l'autre, la profession d'avocat
au conseil provincial d'Artois. Sa mère, femme d'une grâce et d'un
esprit charmants, mourut toute jeune encore, laissant quatre enfants en
bas âge, deux fils et deux filles. Le père, désespéré, prit en dégoût ses
affaires; il voyagea pour essayer de faire diversion à sa douleur, et, peu
de temps après, il mourut à Munich, dévoré par le chagrin.
[Note 2: Nous empruntons, en partie, cette esquisse de la vie de
Robespierre à la Biographie universelle de Michaud (nouvelle édition),
pour laquelle nous avons écrit, il y a une trentaine d'années, les articles
Robespierre aîné, Robespierre jeune, Charlotte Robespierre, etc.]
Maximilien avait un peu plus de neuf ans; c'était l'aîné de la famille.
D'étourdi et de turbulent qu'il était, il devint étonnamment sérieux et
réfléchi, comme s'il eût compris qu'il était appelé à devenir le soutien

de ses deux soeurs et de son jeune frère.
On le mit d'abord au collège d'Arras; puis bientôt, par la protection de
M. de Conzié, évêque de la ville, il obtint une bourse au collège
Louis-le-Grand. Il y fut le plus laborieux des élèves, le plus soumis des
écoliers, et, chaque année, son nom retentissait glorieusement dans les
concours universitaires. Il y avait en lui comme une intuition des vertus
républicaines. Son professeur de rhétorique, le doux et savant M.
Hérivaux, l'avait surnommé le Romain.
Ses études classiques terminées, il fit son droit, toujours sous le
patronage du collège Louis-le-Grand, dont l'administration, dès qu'il
eut conquis tous ses grades, voulant lui donner une marque publique de
l'estime et de l'intérêt qu'elle lui portait, décida, par une délibération en
date du 19 juillet 1781 que, «sur le compte rendu par M. le principal,
des talents éminents du sieur de Robespierre, boursier du collège
d'Arras, de sa bonne conduite pendant douze années et de ses succès
dans le cours de ses classes, tant aux distributions de l'Université
qu'aux examens de philosophie et de droit», il lui serait alloué une
gratification de six cents livres.
Après s'être fait recevoir avocat au parlement, il retourna dans sa ville
natale, où une cause célèbre ne tarda pas à le mettre en pleine lumière.
Il s'agissait d'un paratonnerre que M. de Bois-Valé avait fait élever sur
sa maison et dont les échevins de Saint-Omer avaient ordonné la
destruction comme menaçant pour la sûreté publique. Robespierre,
dans une fort belle plaidoirie, n'eut pas de peine à démontrer le ridicule
d'une sentence «digne des juges grossiers du quinzième siècle», et il
gagna son procès sur tous les points.
Nommé juge au tribunal criminel d'Arras par M. de Conzié, il donna
bientôt sa démission, de chagrin d'avoir été obligé de prononcer une
condamnation à mort, et il se consacra entièrement au barreau et aux
lettres.
Ces dernières étaient son délassement favori. Il entra dans une société
littéraire, connue sous le nom de _Société des Rosati_, dont faisait
partie Carnot, alors en garnison à Arras, et avec lequel il noua des
relations d'amitié, comme le prouve cette strophe d'une pièce de vers
qu'il composa pour une des réunions de la société:
Amis, de ce discours usé, Concluons qu'il faut boire; Avec le bon ami
Ruzé Qui n'aimerait à boire? A l'ami Carnot, A l'aimable Cot, A

l'instant, je veux boire....
Peu de temps avant la Révolution, il était président de l'académie
d'Arras. En 1784, la Société royale des arts et des sciences de Metz
couronna un discours de lui sur les peines infamantes et l'opprobre qui
en rejaillissait sur les familles des condamnés. L'année suivante, il
écrivit
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