Thermidor | Page 4

Ernest Hamel
que l'on
persécutât les nobles uniquement parce qu'ils étaient nobles, et les
prêtres uniquement parce qu'ils étaient prêtres?
Est-ce Robespierre, oui ou non, qui demandait que l'on substituât la
Justice à la Terreur?
Est-ce enfin Robespierre qui est mort dans la journée du 10 thermidor,
pour avoir voulu, suivant l'expression de Barère, parlant au nom des
survivants du Comité de Salut public, «arrêter le cours terrible,
majestueux de la Révolution?»
Eh bien! l'histoire inflexible répond que c'est Robespierre.
Mais M. Sardou se soucie bien de la vérité historique. Aux gémonies
les vaincus de Thermidor! et vive Carnot! dont le petit-fils occupe
aujourd'hui, si correctement d'ailleurs, la première magistrature de la
République.
Ah! les vainqueurs de Thermidor! Écoutez ce que l'on en pensait, non

pas sous la République, mais en pleine Restauration. Voici ce
qu'écrivait Charles Nodier, en 1829, dans la _Revue de Paris_: «La
nouvelle du 9 thermidor, parvenue dans les départements de l'Est,
développa un vague sentiment d'inquiétude parmi les républicains
exaltés, qui ne comprenaient pas le secret de ces événements, et qui
craignaient de voir tomber ce grand oeuvre de la Révolution avec la
renommée prestigieuse de son héros, car derrière cette réputation
d'incorruptible vertu qu'un fanatisme incroyable lui avait faite, il ne
restait plus un seul élément de popularité universelle auquel les
doctrines flottantes de l'époque pussent se rattacher. Hélas! se disait-on
à mi-voix, qu'allons-nous devenir? Nos malheurs ne sont pas finis
puisqu'il nous reste encore des amis et des parents et que MM.
Robespierre sont morts! Et cette crainte n'était pas sans motifs, car le
parti de Robespierre venait d'être immolé par le parti de la Terreur.»
Il faut croire que Charles Nodier, qui avait traversé la Révolution, était
mieux à même que M. Sardou de juger sainement les choses.
Je sais bien que les suppôts de la Terreur n'ont pas tardé à être dupés;
que l'arme sanglante a passé de gauche à droite, et que la Terreur
blanche s'est promptement substituée à la Terreur révolutionnaire. Mais
la moralité du 9 thermidor n'en reste pas moins la même. Quiconque
garde au coeur le culte de la Révolution, ne saurait avoir assez de
mépris «pour cet exécrable parti des Thermidoriens, qui, suivant
l'expression du même Charles Nodier, n'arrachait la France à
Robespierre que pour la donner au bourreau, et qui, trompé dans ses
sanguinaires espérances, a fini par la jeter à la tête d'un officier
téméraire; pour cette faction à jamais odieuse devant l'histoire qui a tué
la République au coeur dans la personne de ses derniers défenseurs,
pour se saisir sans partage du droit de décimer le peuple, et qui n'a
même pas eu la force de profiter de ses crimes». Les républicains de
nos jours, qui font chorus avec «cet exécrable parti des Thermidoriens»,
feraient peut-être bien de méditer ces paroles du royaliste auteur des
_Souvenirs de la Révolution et de l'Empire_.
Eh bien! ce qu'il importe de rétablir à cette heure, c'est la vérité toute
nue sur le sanglant épisode de Thermidor.

C'est ce que je me suis efforcé de faire en remettant sous les yeux du
lecteur l'histoire des faits dégagée de tout esprit de parti, l'histoire
impartiale et sereine, qui ne se préoccupe que de rendre à tous et à
chacun une exacte justice distributive.
Je ne saurais donc mieux terminer cette courte préface qu'en rappelant
ces lignes que je traçais en 1859 à la fin du préambule de mon
_Histoire de Saint-Just_, et dont je me suis inspiré dans mon _Précis de
l'Histoire de la Révolution_:
«Quant à l'écrivain qui s'imposera la tâche d'écrire sincèrement la vie
d'un de ces grands acteurs, il ne devra jamais perdre de vue que tous les
hommes de la Révolution qu'a dirigés un patriotisme sans
arrière-pensée, ont un droit égal à son respect. Son affection et son
penchant pour les uns ne devra diminuer en rien l'équité qu'il doit aux
autres. S'il considère comme un devoir de se montrer sévère envers
ceux qui n'ont vu dans la Révolution qu'un moyen de satisfaire des
passions perverses, une ambition sordide, et qui ont élevé leur fortune
sur les ruines de la liberté, il bénira sans réserve, tous ceux qui, par
conviction, se sont dévoués à la Révolution, qu'ils s'appellent d'ailleurs
Mirabeau ou Danton, Robespierre ou Camille Desmoulins, Carnot ou
Saint-Just, Romme ou Couthon, Le Bas ou Merlin (de Thionville),
Vergniaud ou Cambon. Il se rappellera que la plupart ont scellé de leur
sang la fidélité à des principes qui eussent assuré dans l'avenir la
grandeur et la liberté de la France, et qu'il n'a pas tenu à eux de faire
triompher; il réconciliera devant l'histoire ceux que de déplorables
malentendus ont divisés, mais qui tous ont voulu rendre la patrie
heureuse, libre et prospère: son oeuvre enfin devra être une oeuvre de
conciliation générale, parce que là est la
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