passions humaines.
Eh bien! votre froideur me gagne, et je vais oublier tout ce qui pourrait
me distraire du seul but que nous avons à nous proposer, la fantaisie!
--Vous m'assurez donc que je ne m'ennuierai pas aujourd'hui avec vous?
Oh! vous êtes le meilleur des hommes. Tenez, je ressens déjà l'effet de
votre promesse, comme les malades qui se trouvent soulagés par la vue
du médecin, et qui sont guéris d'avance par la certitude qu'il affecte de
les guérir. Allons, je vous obéis, docteur improvisé, docteur subtil,
docteur admirable! Je m'habille à la hâte, nous partons à jeun, et nous
allons... où bon vous semblera... Quel équipage dois-je commander?
--Aucun, vous ne vous mêlerez de rien, vous ne saurez rien; c'est moi
qui prévois et commande, puisque c'est moi qui invente.
--A la bonne heure, c'est charmant! s'écria-t-elle; et, refermant sa
fenêtre, elle alla sonner ses femmes, qui bientôt abaissèrent un lourd
rideau de damas bleu entre elle et les regards de Léonce. Il alla donner
quelques ordres, puis revint s'asseoir non loin de la fenêtre de Sabina,
au pied d'une statue, et se prit à rêver.
--Eh bien! s'écria lady G. au bout d'une demi-heure, en lui frappant
légèrement sur l'épaule, vous n'êtes pas plus occupé de notre départ que
cela? vous me promettez des inventions merveilleuses, des surprises
inouïes, et vous êtes là à méditer sur la statuaire comme un homme qui
n'a encore rien trouvé?
--Tout est prêt, dit Léonce en se levant et en passant le bras de Sabina
sous le sien. Ma voiture vous attend et j'ai trouvé des choses
admirables.
--Est-ce que nous nous en allons comme cela tête à tête? observa lady
G...
«Voilà un mouvement de coquetterie dont je ne la croyais pas capable,
pensa Léonce. Eh bien! je n'en profiterai pas.»
--Nous emmenons la régresses, répondit-il.
--Pourquoi la négresse? dit Sabina.
--Parce qu'elle plaît à mon jockey. A son âge toutes les femmes sont
blanches, et il ne faut pas que nos compagnons de voyage s'ennuient,
autrement ils nous ennuieraient.
Peu d'instants après, le jockey avait reçu les instructions de son maître,
sans que Sabina les entendît. La négresse, armée d'un large parasol
blanc, souriait à ses côtés, assise sur le siège large et bas du
char-à-bancs. Lady G... était nonchalamment étendue dans le fond, et
Léonce, placé respectueusement en face d'elle, regardait le paysage en
silence; ses chevaux allaient comme le vent.
C'était la première fois que Sabina se hasardait avec Léonce dans un
tête-à-tête qui pouvait être plus long et plus complet qu'elle ne s'en était
embarrassée d'abord. Malgré le projet de simple promenade, et la
présence de ces deux jeunes serviteurs qui leur tournaient le dos et
causaient trop gaiement ensemble pour songer à écouter leur entretien,
Sabina sentit qu'elle était trop jeune pour que cette situation ne
ressemblât pas à une étourderie; elle y songea lorsqu'elle eut franchi la
dernière grille du parc.
Mais Léonce paraissait si peu disposé à prendre avantage de son rôle, il
était si sérieux, et si absorbé par le lever du soleil, qui commençait à
montrer ses splendeurs, qu'elle n'osa pas témoigner son embarras, et
crut devoir, au contraire, le surmonter pour paraître aussi tranquille que
lui.
Ils suivaient une route escarpée d'où l'on découvrait toute l'enceinte de
la verdoyante vallée, le cours des torrents, les montagnes couronnées de
neiges éternelles, que les premiers rayons du soleil teignaient de
pourpre et d'or.
--C'est sublime! dit enfin Sabina, répondant à une exclamation de
Léonce; mais savez-vous qu'à propos du soleil, je pense, malgré moi, à
mon mari?
--A propos, en effet, dit Léonce, où est-il?
--Mais il est à la villa; il dort.
--Et se réveille-t-il de bonne heure?
--C'est selon. Lord G... est plus ou moins matinal, selon la quantité de
vin qu'il a bue à son souper. Et comment puis-je le savoir, puisque je
me suis soumise à cette règle anglaise, si bien inventée pour empêcher
les femmes de modérer l'intempérance des hommes!
--Mais le terme moyen?
--Midi. Nous serons rentrés à cette heure-là?
--Je l'ignore, Madame; cela ne dépend pas de votre volonté.
--Vrai! J'aime à vous entendre plaisanter ainsi; cela flatte mon désir de
l'inconnu. Mais sérieusement, Léonce?...
--Très-sérieusement, Sabina, je ne sais pas à quelle heure vous rentrerez.
J'ai été autorisé par vous à régler l'emploi de votre journée.
--Non pas! de ma matinée seulement.
--Pardon! Vous n'avez pas limité la durée de votre promenade, et, dans
mes projets, je ne me suis pas désisté du droit d'inventer à mesure que
l'inspiration viendrait me saisir. Si vous mettez un frein à mon génie, je
ne réponds plus de rien.
--Qu'est-ce à dire?
--Que je vous abandonnerai à votre ennemi mortel, à l'ennui.
--Quelle tyrannie! Mais enfin, si, par un hasard étrange, lord G... a été
sobre hier soir?...
--Avec qui
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