puoi dormir cosi?
Peu d'instants après la fenêtre s'ouvrit, et Sabina, enveloppée d'un
burnous de cachemire blanc, souleva un coin de la tendine et lui parla
ainsi d'un air affectueusement nonchalant:
«Je vois, mon ami, que vous n'avez pas reçu mon billet d'hier soir, et
que vous ne savez pas ce qui nous arrive. La duchesse a des vapeurs et
ne permet point à ses amants de se promener sans elle. La marquise
doit avoir eu une querelle de ménage, car elle se dit malade. Le comte
l'est pour tout de bon; le docteur a affaire, si bien que tout le monde me
manque de parole et me prie de remettre à la semaine prochaine notre
projet de promenade.
--Ainsi, faute d'avoir reçu votre avertissement, j'arrive fort mal à propos,
dit Léonce, et je me conduis comme un provincial en venant troubler
votre sommeil. Je suis si humilié de ma gaucherie, que je ne trouve rien
à dire pour me la faire pardonner.
--Ne vous la reprochez pas; je ne dormais plus depuis longtemps. Le
caprice de toutes ces dames m'avait causé tant d'humeur hier soir,
qu'après avoir jeté au feu leurs sots billets, je me suis couchée de fort
bonne heure, et endormie de rage. Je suis fort aise de vous voir, il me
tardait d'avoir quelqu'un avec qui je pusse maudire les projets
d'amusement et les parties de campagne, les gens du monde et les jolies
femmes.
--Eh bien! vous les maudirez seule, car, en ce moment, je les bénis du
fond de l'âme.
Et Léonce, penché sur le bord de la fenêtre où s'accoudait Sabina, fut
tenté de prendre une de ses belles mains blanches; mais l'air
tranquillement railleur de cette noble personne l'en empêcha, et il se
contenta d'attacher sur son bras superbe, que le burnous laissait à demi
nu, un regard très-significatif.
--Léonce, répondit-elle en croisant son burnous avec une grâce
dédaigneuse, si vous me dites des fadeurs, je vous ferme ma fenêtre au
nez et je retourne dormir. Rien ne fait dormir comme l'ennui; je
l'éprouve surtout depuis quelque temps, et je crois que si cela continue,
je n'aurai plus d'autre parti à prendre que de consacrer ma vie à
l'entretien de ma fraîcheur et de mon embonpoint, comme fait la
duchesse. Mais tenez, soyez aimable, et appliquez-vous, de votre côté,
à entretenir votre esprit et votre bon goût accoutumés. Si vous voulez
me promettre d'observer nos conventions, nous pouvons passer la
matinée plus agréablement que nous ne l'eussions fait avec cette
brillante société.
--Qu'à cela ne tienne! Sortez de votre sanctuaire et venez voir lever le
soleil dans le parc.
--Oh, le parc! il est joli, j'en conviens, mais c'est une ressource que je
veux me conserver pour les jours où j'ai d'ennuyeuses visites à subir. Je
les promène, et je jouis de la beauté de cette résidence, au lieu d'écouter
de sots discours que j'ai pourtant l'air d'entendre. Voilà pourquoi je ne
veux pas me blaser sur les agréments de ce séjour. Savez-vous que je
regrette beaucoup de l'avoir loué pour trois mois? il n'y a que huit jours
que j'y suis, et je m'ennuie déjà mortellement du pays et du voisinage.
--Grand merci! dois-je me retirer?
--Pourquoi feindre cette susceptibilité? Vous savez bien que je vous
excepte toujours de mon anathème contre le genre humain. Nous
sommes de vieux amis, et nous le serons toujours, si nous avons la
sagesse de persister à nous aimer modérément comme vous me l'avez
promis.
--Oui, le vieux proverbe: «s'aimer peu à la fois, afin de s'aimer
longtemps.» Mais voyons, vous me promettez une bonne matinée, et
vous me menacez de fermer votre fenêtre au premier mot qui vous
déplaira. Je ne trouve pas ma position agréable, je vous le déclare, et je
ne respirerai à l'aise que quand vous serez sortie de votre forteresse.
--Eh bien, vous allez me donner une heure pour m'habiller; pendant ce
temps, on vous servira un déjeuner sous le berceau. J'irai prendre le thé
avec vous, et puis nous imaginerons quelque chose pour passer
gaiement la matinée.
--Voulez-vous m'entendre, Sabina? laissez-moi imaginer tout seul, car,
si vous vous en mêlez, nous passerons la journée, moi à vous proposer
toutes sortes d'amusements, et vous à me prouver qu'ils sont tous
stupides et plus ennuyeux les uns que les autres. Croyez-moi, faites
votre toilette en une demi-heure, ne déjeunons pas ici, et laissez-moi
vous emmener où je voudrai.
--Ah! vous touchez la corde magique, l'inconnu! Je vois, Léonce, que
vous seul me comprenez. Eh bien, oui, j'accepte; enlevez-moi et
partons.
Lady G... prononça ces derniers mots avec un sourire et un regard qui
firent frissonner Léonce.--O la plus froide des femmes! s'écria-t-il avec
un enjouement mêlé d'amertume, je vous connais bien, en effet, et je
sais que votre unique passion, c'est d'échapper aux
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