Terre-Neuve et les Terre-Neuviennes | Page 5

Henri de la Chaume

qui s'intitule, avec un orgueil tout britannique, «la plus ancienne des
colonies anglaises».
* * *
C'était le 24 juin 1497. Les brouillards sont presque constants à cette
époque de l'année autour de Terre-Neuve. Mais parfois un rayon de
soleil y ouvre une brusque et profonde blessure, et c'est ainsi que ce
jour-là, au lever de l'aurore, l'île vierge, dépouillée de son voile de gaze,
fut surprise pour la première fois par des regards européens.
D'une voix triomphante, la vigie qui veillait dans le mât de misaine du
Mathieu, petite barque de Bristol, poussa ce cri: «Terre! terre!»
Le capitaine était John Cabot, et son fils, Sébastien, avait rang de
premier officier. Des cris d'enthousiasme s'élevèrent du pont, et dans
les rochers de la côte, l'écho étonné répétait sans comprendre les sons
qu'il n'avait encore jamais entendus.
L'histoire dit pourtant que les morues ne s'en émurent point, ne pouvant
s'imaginer de quels malheurs pour leur race la venue de ces hommes
était le signal.
Elles partageaient alors avec les phoques la souveraineté absolue de
l'île et de ses dépendances, mais l'Angleterre ne tardera pas à les en
déposséder à son profit, sous prétexte que Sébastien Cabot qui
commandait le Mathieu était né à Bristol.
Au mois de février de l'année suivante, le roi Henri VII accorda à John
Cabot une nouvelle patente l'autorisant à renouveler son expédition à la
tête de six navires. Mais, cette fois, le vieil Italien n'y alla pas et confia
sa mission à son fils Sébastien, alors âgé de vingt-trois ans.
Néanmoins, malgré sa perfide joie à harponner toute proie nouvelle, ce
ne fut que quatre-vingt-six ans plus tard qu'Albion songea à établir
officiellement sa domination sur Newfoundland. En effet, nulle

tentative de colonisation n'avait été faite durant ce laps de temps,
presque un siècle.
Les phoques, déjà renommés pour leur habileté diplomatique, s'étaient
constitués en congrès avec les marins. Des plénipotentiaires avaient été
nommés, et une conférence s'était réunie sur les bancs, qui avait décidé
qu'il fallait employer la plus extrême prudence à ne pas éveiller la
dévorante ambition des Anglais; que pour cela il était nécessaire
d'observer le plus grand silence et de ne point former d'attroupements
sur la voie publique.
Mais, quatre-vingt-six ans plus tard, le congrès s'étant assemblé de
nouveau pour voter des félicitations à ses peuples, les Anglais le
surprirent pendant qu'il délibérait, et une extermination générale fut
résolue.
Ce jour-là, quatre vaisseaux de guerre anglais et trente-six navires de
pêche de toutes nationalités se trouvaient réunis dans le port de
Saint-Jean.
Sir Humphrey Gilbert descendit à terre. Des otages pris parmi les
phoques et les morues furent traînés devant lui chargés de chaînes. Tout
autour, des officiers et un assez grand nombre d'autres personnes
formèrent le cercle. Sir Humphrey donna alors lecture d'une patente
royale l'autorisant à prendre possession de Terre-Neuve au nom de la
reine Élisabeth, et à exercer sa juridiction sur l'île et sur tous les autres
domaines de la couronne dans la même région.
Puis, se tournant vers les otages, il leur déclara que leur autopsie allait
être ordonnée. Deux chirurgiens de la marine royale s'avancèrent alors,
scalpel en main, et ce fut à cette occasion que la vivisection fut
pratiquée pour la première fois. De l'économie anatomique de la morue
il fut déduit que sa chair fournirait un aliment à la fois substantiel et
délicat. Quant au phoque, sa peau rembourrée de graisse fit penser qu'il
serait un produit précieux pour l'industrie nécessaire au développement
du pays.
En conséquence, guerre ouverte fut déclarée aux peuples sous-marins,

et tous moyens proclamés bons et loyaux pour les mettre en conserves.
La juridiction de sir Humphrey Gilbert, selon qu'elle était délimitée par
la patente, s'étendait à deux cents lieues à la ronde. Aussi
comprenait-elle, avec Terre-Neuve, la Nouvelle-Écosse, le
Nouveau-Brunswick, une partie du Labrador, le Cap-Breton et l'île du
Prince Édouard.
C'était presque un royaume, et sir H. Gilbert avait amené avec lui du
Devonshire environ deux cent cinquante colons, pour commencer à le
peupler. Il fut soutenu dans son entreprise par son célèbre demi-frère,
sir Walter Raleigh. Celui-ci avait d'abord fait partie de l'expédition
dirigée par sir Humphrey. Mais une maladie contagieuse éclata à son
bord, et il dut regagner l'Angleterre.
C'est ainsi que furent jetés les premiers fondements de l'empire colonial
que l'Angleterre s'est conservé dans l'Amérique du Nord.
Mais Terre-Neuve seule nous occupe, pour l'instant, et comme son
histoire est peu intéressante, je ne ferai que vous l'esquisser à grands
traits.
Il n'est cependant peut-être pas inutile de rappeler que les Français
furent les véritables colonisateurs de Terre-Neuve.
Après la découverte des Cabot, ce sont des navigateurs français, Cartier,
puis Champlain, qui viennent débarquer sur ses côtes. En 1525,
François Ier envoie Verazini déployer la Salamandre sur la «terre
nouvellement trouvée» et déclarer aux phoques et aux morues
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