Cela le séduit d'avoir une femme
ne songeant qu'à le distraire sans penser à le commander. Enfin c'est
surtout parce qu'elle fut l'initiatrice qu'il ne l'oublie jamais. Elle peut
vieillir et avec l'âge voir s'éteindre la possibilité des étreintes.
Qu'importe! Elle l'a fait vibrer avant toutes les autres. S'il n'hésite pas
même à lui avouer ses infortunes galantes, c'est qu'il est certain de
trouver sur son sein un mol oreiller pour sa peine et dans ses mains,
qui eurent tant de luxurieuses caresses, une dernière étreinte pour
apaiser son coeur. Il sait qu'elle l'aidera à dénouer d'aventureuses
liaisons, trouvant dans cette compromission l'agrément de se voir
rechercher encore.
Vu de la sorte, le caractère de Napoléon apparaît sans étrangeté. Il
s'est imposé, où son esprit le conduisait de n'avoir d'autre maître que
lui et à laisser la femme en marge de sa pensée.
Une conception de la vie entièrement consacrée à la réalisation ferme
d'un grand projet oblige à ne considérer les autres sentiments que
comme des plaisirs et à faire que ceux qui les éveillent en nous ne
puissent devenir rien autre que des amuseurs.
L'esprit pourra s'ingénier à concevoir une vie calme où les droits de la
famille et ceux du devoir seront Justement équilibrés, il semble qu'une
loi conduise les êtres supérieurs à ne pas s'y arrêter. Ce calme, ce
repos familial, dans les minutes de découragement ils regretteront
parfois de ne l'avoir pas, mais ne s'attarderont pas à cette mélancolie.
Immenses dans leurs besoins, ceux dont Napoléon a dit qu'ils «étaient
des météores, destinés à brûler pour éclairer la terre» seront toujours
conduits à s'éprendre de et qui sera énervant comme le sont la lutte et
les courtisanes, si l'on veut entendre par courtisanes non les filles
simplement vénales, mais celles qui trouvent à se donner une
satisfaction aussi vive que le guerrier à vaincre. Pour les courtisanes et
pour le conquérant, l'or et le butin de l'amant et du vaincu sont les
conséquences naturelles, mais négligeables d'une action puissante.
Offrandes et rançons seront vite dissipées, et de tant de fortunes et de
conquêtes il ne ratera pour l'éternité que l'immense souvenir de leur
agitation.
Napoléon cherchant la femme qui l'aimera pour lui-même et n'aimera
que lui, l'artiste demandant celle qui le comprendra et lui construira un
foyer, obéissent à une loi de contraste de notre esprit. En donnant
Joséphine à Napoléon et d'ardentes maîtresses aux chastes artistes, les
lois surnaturelles semblent avoir voulu surchauffer les sens de ces
héros pour mieux libérer leurs esprits en leur présentant de la femme
une idée physique et irrespectueuse à laquelle ils ne sauraient
s'attacher sans déchoir.
Abel GRI.
* * * * *
TENDRESSES IMPÉRIALES
***
LETTRES DU GÉNÉRAL EN CHEF DE L'ARMÉE D'ITALIE
LETTRE I
À Joséphine, à Milan.
Marmirolo, le 29 messidor, 6 heures du soir (17 Juillet 1796).
Je reçois ta lettre, mon adorable amie; elle a rempli mon coeur de joie.
Je te suis obligé de la peine que tu as prise de me donner de tes
nouvelles; ta santé doit être meilleure aujourd'hui; je suis sûr que tu es
guérie. Je t'engage fort à monter à cheval, cela ne peut pas manquer de
te faire du bien.
Depuis que je t'ai quittée, j'ai toujours été triste. Mon bonheur est d'être
près de toi. Sans cesse je repasse dans ma mémoire tes baisers, tes
larmes, ton aimable jalousie, et les charmes de l'incomparable
Joséphine allument sans cesse une flamme vive et brûlante dans mon
coeur et dans mes sens. Quand, libre de toute inquiétude, de toute
affaire, pourrai-je passer tous mes instants près de toi, n'avoir qu'à
t'aimer, et ne penser qu'au bonheur de te le dire et de te le prouver? Je
t'enverrai ton cheval; mais j'espère que tu pourras me rejoindre. Je
croyais t'aimer il y a quelques jours; mais, depuis que je t'ai vue, je sens
que je t'aime mille fois plus encore. Depuis que je te connais, je t'adore
tous les jours davantage: cela prouve combien la maxime de La
Bruyère, que l'amour vient tout d'un coup, est fausse. Tout, dans la
nature, a un cours et différents degrés d'accroissement. Ah! je t'en prie,
laisse-moi voir quelques-uns de tes défauts; sois moins belle, moins
gracieuse, moins tendre, moins bonne surtout; surtout ne sois jamais
jalouse, ne pleure jamais; tes larmes m'ôtent la raison, brûlent mon sang.
Crois bien qu'il n'est plus en mon pouvoir d'avoir une pensée qui ne soit
pas a toi, et une idée qui ne te soit pas soumise.
Repose-toi bien. Rétablis vite ta santé. Viens me rejoindre; et, au moins,
qu'avant de mourir, nous puissions dire: «Nous fûmes tant de jours
heureux!!»
Millions de baisers et même à Fortuné[3], en dépit de sa méchanceté.
BONAPARTE.
[Note 3: Petit chien de Joséphine.]
LETTRE II
À Joséphine, à Milan.
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