Tendresses impériales | Page 3

Napoleon Bonaparte
saurait le lui offrir.
Et il en fut ainsi.
Dès le soir du mariage, c'est, de la rue Chante-reine, le hâtif départ
vers la gloire. Et bientôt les nouvelles parviennent, apportant chacune
l'annonce d'un triomphe, d'un pas vers l'empire dont elle rêve peut-être
dans son imagination orientale, mais certainement l'assurance d'un peu
plus de cet argent dont elle se montrera si prodigue.
Pendant qu'il écrit ces fiévreux billets le soir, sous la tente, parmi
l'éparpillement des cartes et des rapports, lorsque dorment ses soldats
harassés, Joséphine, oublieuse des promesses récentes, se laisse aller à
l'ardeur de son tempérament. Bonaparte en reçoit la nouvelle en
Égypte. De suite il songe au divorce. Ce qu'il y a de brutal et
d'orgueilleux dans son caractère lui présente ce moyen prompt de
sauver son honneur.
Mais bientôt il fait un lent et puissant effort sur lui-même, s'appliquant
à discuter, à peser la gravité et les conséquences de la rupture.
Il commande un corps d'expédition. Il a décidé d'atteindre le pouvoir à
son retour en France. Des ennemis l'entourent. Ira-t-il prêter le flanc
aux railleries en faisant connaître à tous ce qui n'est su que de
quelques-uns? Ainsi les années passent. Il grandit dans sa puissance.
En Italie, il est trop tard déjà pour exiger cette réparation. La blessure
est plus ancienne aussi. Il la pourra supporter. Les efforts faits pour
reconquérir Joséphine sont restés vains. Il eût fallu qu'il demeurât près
d'elle à la distraire, à la choyer. Mais son destin l'appelait aux armées.
La certitude de toute maternité impossible chez l'Impératrice, seule, le
détermina à la rupture. Encore ne put-il l'accepter définitive. Il sentit le
besoin de la savoir proche de lui et heureuse par ses soins.
Perpétuel combat entre l'amour et la destinée, voilà toute la vie de
Napoléon avec Joséphine.

Maintenant que nous connaissons les idées de l'Empereur sur l'amour
et le mariage, on peut demeurer surpris de voir sa conduite.
Quand on songe qu'il avoua ses maîtresses à Joséphine, lui présenta
Mme Walewska, et que l'ayant répudiée il ne voulut cesser de la voir,
quelle extraordinaire complexité de caractère ne découvre-t-on pas en
lui!
Deux causes expliquent cette conduite; l'éducation littéraire de
Bonaparte et le rôle d'initiatrice de Joséphine.
Napoléon dans sa rudesse garde un fond de rêverie qui combat sans
cesse son positivisme natif. Cela il le doit à sa jeunesse isolée,
malheureuse même, dépourvue de caresses et de cet argent avec lequel
s'achètent les illusions de celles-ci. Il a vu des femmes, sans doute, mais
leurs rangs si supérieurs au sien l'ont forcé à n'être que tendre et
«troubadour» auprès d'elles. Ce furent les idylles de Valence. De celles
qui se donnent, il connaît seulement les filles vénales comme celle
interrogée un soir de fièvre sous les galeries du Palais-Royal.
La lecture de Rousseau l'exalta. Il a rêvé une Mme de Warens. Il croit
la découvrir dans cette créole s'offrant à lui, prestigieuse, entourée du
souvenirs de son Orient natal. Il l'aime d'autant plus qu'il n'osait
espérer lui plaire.
De son côté, Joséphine trouva de l'agrément à séduire ce jeune homme
qu'elle savait chaste. Pour cette voluptueuse c'était une conquête bien
tentante. Ce que furent leur fièvre, nous le devinons. Dans leur hâte de
possession, ils ne surent attendre leur mariage.
Tout ce qu'une femme dont l'amour est la seule pensée peut mettre de
science, de raffinement, de recherche dans l'étreinte, il est certain que
Joséphine le révéla à Bonaparte étonné et ravi. Pour elle il fut un jouet.
Elle le trouva même «drôle» et par ce plaisir qu'elle donnait contre
toute attente elle le posséda. De lui avoir fait connaître un amour qu'il
imaginait seulement dans les romans, Bonaparte lui en fut toute sa vie
reconnaissant. Ce conquérant l'aime parce qu'elle l'a vaincu, qu'elle l'a
su tenir, lassé, près d'elle et cependant heureux.

Aussi il aura pour elle des empressements de petit-maître, de délicates
attentions, des pardons même. Elle peut tout faire: le tromper, se
vendre et s'endetter. Qu'importe! Il sait qu'il trouvera en elle un
superbe instrument de plaisir plus vibrant et plus riche que tous les
autres.
Aux heures de réflexion, dans les nuits aux camps, sa pensée s'applique
à comprendre Joséphine. Il évoque les amants à qui elle se donne avec
la même fougue qu'à lui-même. Si, dans son instinct de mâle, il est
jaloux, sa fierté d'homme ne se révolte pas. Il sait qu'il n'a qu'à
reparaître pour les lui faire oublier tous. Sa gloire, sa richesse lui
ajoutent un prestige dont il connaît la force. «Ce qu'on aime en nous
c'est notre bonheur», pense-t-il. Il se dit aussi qu'une femme dont les
sens sont si prompts ne pourra jamais commander à l'esprit d'un
homme. Pas plus qu'elle ne se souvient de lui absent, il ne redoute de
subir son action quand il l'a quittée.
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