Tendresses impériales | Page 2

Napoleon Bonaparte
de quelque eau-forte, ne puisse fixer dans notre cerveau
la pensée austère du Maître.
Nous ne dirons pas l'histoire de ses amours. Si nous les savons
multiples, nous avons retenu qu'elles ne l'obsédèrent pas. Sans les
considérer comme une tare, il pensait justement qu'elles étaient un mal
inévitable à l'homme sans foyer, et que, pour cette raison, mieux valait
les taire et les cacher.
C'est encore l'aimer que de ne pas attacher d'importance aux actes de

sa vie qu'il estimait négligeables.
Aussi, sa tendresse pour Marie Walewska n'aura-t-elle que l'agrément
d'une faiblesse s'entourant de romantisme.
Elle aura le charme troublant d'une page de littérature où l'amour
discute l'être aimé à la curiosité des foules et à la raillerie des
pamphlétaires. Malgré ses moments de véritable grandeur et malgré
l'inaltérable souvenir qu'il lui garda, l'aventure polonaise ne restera
qu'une aventure, sans doute plus longue, plus relevée parmi les autres,
mais dont on n'a pas à chercher les conséquences, parce qu'elle ne
pouvait pas en avoir dans la pensée et par la volonté du héros.
L'idée du rétablissement d'un royaume par l'intervention de l'amour ne
sera qu'une chimère conçue par l'héroïne et narrée avec volupté par les
écrivains épris de son histoire.
L'ascension au trône d'une concubine n'est qu'une autre folie de ceux
qui s'ingénièrent à voir un passionné chez Napoléon.
Il eût été plus vrai de dire que par Napoléon l'amour n'est ni recherché,
ni surtout glorifié. Il est combattu. L'Empereur ne l'accepte que dans le
mariage, sans l'y croire nécessaire. Pour lui, le mariage est un devoir
social. C'est un acte légitime que nous devons accomplir, que le
souverain doit imposer à ses sujets et à l'accomplissement duquel il
prêtera son encouragement. C'est un moyen de fonder une famille, une
nation, une dynastie. Si fragiles que soient des unions que, seule, la
volonté explique, il les veut définitives. Si le divorce est inscrit dans ses
lois, ce n'est qu'entouré de mille entraves qui le rendent difficile à
appliquer et d'aspect si redoutable que la plupart des solliciteurs s'en
détournent. Il croit qu'il n'est rien de durable que ce qu'a bâti la
volonté tenace. Il sait que les énergies sont rares et que la foule,
quoique mobile, est soumise, parce que craintive. La rigueur de ses lois
forcera son peuple à la vertu.
Aussi l'amour n'apparaît à ses yeux que comme un libertinage. Il le voit
sous son aspect physique, et de suite il entrevoit les déchéances où
conduisent les passions. Économe de l'énergie de son peuple comme de

la sienne, il utilise même les circonstances quotidiennes pour bannir de
son entourage l'idée de l'amour et l'habituer à des pensées plus
austères. La perte d'une amante provoque-t-elle un suicide parmi ses
troupes, de suite il fait lire une proclamation dans laquelle il est dit
qu'«un soldat doit vaincre la douleur et la mélancolie de ses passions».
L'histoire ne dit pas quelle femme fut cause de ce drame. Maîtresse ou
épouse, la proclamation eût été la même. Dans sa pensée, l'homme se
doit à une tâche plus sévère que celle d'aimer. L'amour est l'affaire des
femmes, dont il exige la fidélité. Non pas qu'en soi il donne une grande
importance à l'adultère. Il le dit «commun» et c'est une «affaire de
canapé». Mais s'il le comprend, il ne l'excuse pas et les moeurs
qu'imposera son exemple contribueront à en diminuer les causes. Il
veut les épouses respectées. Il écarte d'elles les galants, supprimant
ainsi toutes excuses à leur faute. Si malgré tant de soins la trahison n'a
pu être évitée, il se gardera bien de l'ébruiter, d'user même de l'autorité
de ses lois. Il sait qu'un malheur conjugal ne doit pas s'avouer.
Ceci explique le ton enjoué de ses lettres à Joséphine, où les rares
menaces sont plutôt des avis de discrétion. Alors il écrit: «Ne te fie pas,
et je te conseille de te bien garder la nuit, car une de ces prochaines tu
entendras grand bruit.»
Aussi sa correspondance est-elle d'une lecture passionnante et triste.
Bonaparte, à vingt-six ans[1], se marie avec Joséphine, âgée de
quelques années de plus que lui[2]. Elle est veuve. Elle est créole. Elle
a passé sa vie dans l'oisiveté. Celle du jeune Bonaparte s'est passée
dans l'étude et dans les combats. Il ne sait des femmes et de l'amour
que ce qu'il en a observé avec une amère justesse. Mais que peut
l'observation d'un jeune homme quand, pour la combattre, on a le
visage, la grâce de séduction et l'expérience de Joséphine.
[Note 1: Né en 1769.]
[Note 2: Née à la Martinique en 1763. Elle avait 32 ans.]
Pour conquérir une place, une fortune, un droit aux honneurs, elle usa
de la seule arme qui était en son pouvoir. Une prescience lui disait que

tout cela, ce jeune homme timide avec elle, mais énergique avec les
événements,
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