des langues étrangéres, si l'on veut éviter de tomber dans de grandes méprises. Dans la langue Illyrienne, répandue depuis la mer Adriatique jusqu'à l'Océan, se trouve une quantité considérable de racines, semblables à celles de la langue Grècque: il y en a même, parmi les noms des nombres, qui cependant doivent être sensés indigènes. Beaucoup de mots Esclavons sont entièrement Grècs; comme Spugga, Trapeza, Catrida, provenus sans aucune altération sensible de Spoggos, Trapeza, Kathedra. La multitude des Grécismes & l'analogie des deux Alphabeths, ne m'engagera, pas cependant à soutenir, que la nation nombreuse des Esclavons descend des Grècs, resserrés dans un pays borné: ou plut?t que la premiere de ces nations, a envahi & peuplé la Grèce dans les tems les plus reculés. Il seroit également difficile & inutile d'éclaircir des matières de cette nature, qui resteront toujours couvertes des ténèbres de l'Antiquité.
Un savant Anglois[8] a traité de la ressemblance entre la langue Illyrienne & l'Angloise. Il y a, sans doute, dans ces deux langues quelques mots correspondans: mais, comme ces mots se trouvent dans la langue Germanique, portée par les Saxons dans la Grande-Bretagne, il faudroit examiner, si ces mots n'appartiennent pas plut?t à quelque dialecte des anciens Celtes du nord? En tout cas, je serois sur mes gardes avant de prononcer sur ces matières, à moins d'observer une ressemblance frapante entre le corps entier & le génie des deux langues. La quantité de termes étrangers, mêlés sans l'Italien, prouve que, indépendamment de l'origine d'un peuple, son idiome peut contenir beaucoup de mots, qui lui sont communs avec des idiomes différens. Sans parler des Arabismes, des Grécismes, des Germanismes de la langue Italienne, dont MURATORI a déjà donné la collection, n'est-elle pas remplie encore d'Esclavonismes? Abbajare vient de objalati; svaligiare de svla?iti; barare de varati; tartagliare de tartati, ammazzare de Ma?, épée de son dérivé ma?ati; ricco de srichian, heureux; tassa de ?assa; copa de kuppa; danza de tanza; bravo de pravo, adverbe d'approbation; briga est un mot purement Illyrien, qui répond à sa signification en Italie. Enfin, une infinité de mots du dialecte Vénitien, empruntés des Illyriens, ne prouvent pas que ces républicains descendent de la nation Esclavone.
[Note 8: BREREWOOD, de Scrut. Relig.]
§. III.
_De la différence entre l'origine des MORLAQUES, & celle des habitans des bords de la mer & des ISLES_.
Les habitans des villes maritimes, qui font la véritable postérité des colonies Romaines, marquent peu de bonne volonté aux Morlaques, & ces derniers témoignent aux premiers, comme aux insulaires, un profond mépris. Ces sentimens réciproques, sont peut-être un indice d'une ancienne inimitié, qui a désuni ces deux races. Un Morlaque s'incline devant un gentilhomme des villes, ou devant un avocat, dont il a besoin: mais il ne les aime pas; il compte le reste de la nation, à qui il n'a pas à faire, dans la classe des Bodoli; nom auquel il attache une idée de mépris & d'injure. Je me souviens, à cette occasion, du propos d'un soldat Morlaque qui mourut, il y a peu de tems, dans l'hópital de Padoue. Le religieux, destiné à le consoler dans ses derniers momens, ignorant la force de ce terme, commen?a son exhortation par lui dire: courage mon cher Bodolo! ?Mon pere, répliqua le mourant tout de suite, ne m'appellez pas Bodolo, ou je me damne?.
La diversité considérable dans le langage, dans l'habillement, dans les coutumes & dans le caractère, prouve clairement que les habitans des contrées maritimes de la Dalmatie, ont une autre origine que ceux qui habitent les montagnes: ou si leur origine est la même, qu'ils se sont établis dans ce pays en différentes époques, & dans des circonstances, capables d'altérer le caractère national? Parmi les peuplades des Morlaques il regne la même diversité, résultante des différens pays d'où elles sont sorties, de leur mélange avec d'autres peuples, des invasions successives, & des guerres entre leurs tribus. Les habitans de Kotar sont généralement blonds, avec des yeux bleus, la face large & le nez écrasé; traits qui se rencontrent aussi chez les Morlaques des plaines de Scign & de Knin. Ceux de Douaré & de Vergoraz ont les cheveux chatains, le teint olivatre, le visage long, & la taille avantageuse. Dans leur caractère on remarque la même diversité: les Morlaques de Kotar sont à l'ordinaire, doux, honnêtes & dociles; ceux de Vergoraz, au contraire sont féroces, altiers, audacieux & entreprenans. La situation de ces derniers, au milieu de montagnes stériles & inaccessibles, qui en augmentant les besoins, assurent aussi l'impunité des moyens pour les satisfaire, & leur inspire une passion démesurée pour la rapine. Peut-être le sang des anciens Ardiées & des Autariates, chassés par les Romains dans ces montagnes, coule-t-il encore dans leurs veines[9]?
[Note 9: ?Les Ardiées, les Daorisses, les Plérées sont dans le voisinage de la rivière Narona. Les plus proches s'appellent les Ardiées
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