Varales. Les Romains les éloignerent de la mer, & les chasserent dans les terres, pour les empêcher de piller & de saccager tout, selon leur co?tume. Leur pays est apre, stérile, & digne de ses habitants sauvages.? STRABON. L. VII.]
Leurs pillages tombent à l'ordinaire sur les Turcs; en cas de besoin, cependant, ils n'épargnent guères plus les chrétiens. Entre plusieurs traits subtils & hardis de friponnerie, qu'on m'a racontés d'un de ces montagnards, il y en a un, qui me semble caractéristique. Un pauvre homme, se trouvant à une foire dans une ville voisine, posa par terre un chaudron, qu'il venoit d'acheter, & en s'assayant à c?té, s'engagea dans un entretien sérieux avec un homme de sa connoissance. Le fripon de Vergoraz s'approcha, & mit le chaudron sur sa tête, sans changer de situation. Le propriétaire, ayant fini son entretien & n'appercevant plus son chaudron, demanda à celui qui le portoit sur sa tête, s'il n'avoit pas vu quelqu'un emporter cet ustencile? ?Non, répondit le fripon je n'y ai pas fait attention, mais si, comme moi, vous aviez mis votre chaudron sur votre tête, on n'auroit point pu vous le voler?. Malgré ces friponneries, qu'on dit être très-communes chez cette nation, un étranger peut voyager dans ce pays en toute sureté, & s'attendre à être par-tout bien escorté & re?u avec h?spitalité.
§. IV.
Des HAIDUCKS.
Le plus grand danger à craindre vient de la quantité des Haiducks, qui se retirent dans les cavernes & dans les forêts de ces montagnes rudes & sauvages. Il ne faut pas cependant s'épouvanter trop de ce danger. Pour voyager surement dans ces contrées désertes, le meilleur moyen est précisément de se faire accompagner par quelques-uns de ces honnêtes gens, incapables d'une trahison. On ne doit pas s'effaroucher, par la réflexion que ce sont des bandits: quand on examine les causes de leur triste situation, on découvre, à l'ordinaire, des cas plus propres à inspirer de la pitié que de la défiance. Si ces malheureux dont le nombre augmente sans mésure, avoient une ame plus noire, il faudroit plaindre le sort des habitans des villes maritimes de la Dalmatie.
Ces Haiducks mènent une vie semblable à celle des loups; errant parmi des précipices presque inaccessibles; grimpant de rochers en rochers pour découvrir de loin leur proye; languissant dans le creux des montagnes désertes & des cavernes les plus affreuses; agités par des soup?ons continuels; exposés à toute l'intempérie des saisons; privés souvent de l'aliment nécessaire, ou obligés de risquer leur vie pour pouvoir la conserver. On ne devroit attendre que des actions violentes & atroces, de la part de ces hommes devenus sauvages, & irrités par le sentiment continuel de leur misere: mais on est surpris de ne les voir entreprendre jamais quelque chose contre ceux, qu'ils regardent comme les auteurs de leurs calamités, de respecter les lieux habités, & d'être les fidèles compagnons des voyageurs.
Leurs rapines ont pour objet le gros & le menu bétail, qu'ils tra?nent dans leurs cavernes, se nourrissent de la viande, & gardent les peaux pour se faire des souliers. Tuer le boeuf d'un pauvre laboureur, pour consommer une petite partie de sa chair & de sa peau, semble une indiscrétion barbare, que je ne prétends pas excuser. Il faut remarquer cependant que les souliers sont de la nécessité la plus indispensable à ces malheureux, condamnés à mener une vie errante dans les lieux les plus apres, qui manquent d'herbe & de terre, & qui sont couverts par les débris tranchans des rochers. La faim chasse quelquefois ces Haiducks de leurs repaire, & les raproche des cabanes des bergers, où ils prennent par force des vivres quand on les leur refuse. Dans des cas semblables, le tort est du c?té de celui qui résiste. Le courage de ces gens est en proportion de leurs besoins & de leur vie dure. Quatre Haiducks ne craignent pas d'attaquer, & réussissent à l'ordinaire à piller & à battre, une caravane de 15, à 20 Turcs.
Quand les Pandours[10] prennent un Haiduck, ils ne le lient pas, comme on fait dans le reste de l'Europe: ils coupent le cordon de sa longue culotte, qui tombant sur ses talons, l'empêche de se sauver & de courir. Il paro?t plus conforme à l'humanité, d'employer un moyen de s'assurer d'un prisonnier, sans le lier comme un vil animal. Un Haiduck se croit un homme d'importance, quand il a pu répandre le sang des infidelles. Un faux zèle de religion, joint à leur férocité naturelle & acquise, porte ces malheureux à infester les Turcs voisins sans s'embarrasser des conséquences de ces déprédations. Souvent leurs ecclésiastiques, remplis de préjugés & de cette impétuosité ordinaire à la nation, sont la première cause de ces excès, en excitant & en nourrissant la haine naturelle de leurs compatriotes contre les Turcs.
[Note 10: Pandour, signifie en Esclavon,
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