Spiridion | Page 8

George Sand
ne sais pas me passer d'affection; j'ai
cette faiblesse, cette lâcheté, si vous voulez. Je suis peut-être un
caractère faible, mais je sens en moi une âme tendre, et j'ai besoin d'un
ami. Dieu est si grand que je me sens terrifié en sa présence. Mon esprit
est si timide qu'il ne trouve pas en lui-même la force d'embrasser ce
Dieu tout-puissant, et d'arracher de sa main terrible les dons de la grâce.
J'ai besoin d'intermédiaire entre le ciel et moi. Il me faut des appuis, des
conseils, des médiateurs. Il faut qu'on m'aime, qu'on travaille pour moi
et avec moi à mon salut. Il faut qu'on prie avec moi, qu'on me dise
d'espérer et qu'on me promette les récompenses éternelles. Autrement
je doute, non de la bonté de Dieu, mais de celle de mes intentions. J'ai
peur du Seigneur, parce que j'ai peur de moi-même. Je m'attiédis, je me
décourage, je me sens mourir, mon cerveau se trouble, et je ne
distingue plus la voix du ciel de celle de l'enfer. Je cherche un appui;
fût-ce un maître impitoyable qui me châtiât sans cesse, je le préférerais
à un père indulgent qui m'oublie.
--Pauvre ange égaré sur la terre! dit le père Alexis avec attendrissement;
étincelle d'amour tombée de l'auréole du maître, et condamnée à couver
sous la cendre de cette misérable vie! Je reconnais à tes tourments la
nature divine qui m'anima dans ma jeunesse, avant qu'on eût épaissi sur
mes yeux les ténèbres de l'endurcissement, avant qu'on eût glacé sous le
cilice les battements de ce coeur brûlant, avant qu'on eût rendu mes
communications avec l'Esprit pénibles, rares, douloureuses et à jamais
incomplètes. Ils feront de toi ce qu'ils ont fait de moi. Ils rempliront ton
esprit de doutes poignants, de puérils remords et d'imbéciles terreurs.
Ils te rendront malade, vieux avant l'âge, infirme d'esprit; et quand tu
auras secoué tous les liens de l'ignorance et de l'imposture, quand lu te
sentiras assez éclairé pour déchirer tous les voiles de la superstition, tu
n'en auras plus la force. Ta fibre sera relâchée, ta vue trouble, ta main
débile, ton cerveau paresseux ou fatigué. Tu voudras lever les yeux vers
les astres, et ta tête pesante retombera stupidement sur ta poitrine; tu
voudras lire, et des fantômes danseront devant tes yeux; tu voudras te
rappeler, et mille lueurs incertaines se joueront dans ta mémoire
épuisée; tu voudras méditer, et tu t'endormiras sur ta chaise. Et pendant
ton sommeil, si l'Esprit te parle, ce sera en des termes si obscurs que tu

ne pourras les expliquera ton réveil. Ah! victime! victime! je te plains,
et ne puis te sauver.»
En parlant ainsi, il frissonnait comme un homme pris de fièvre: son
haleine brûlante semblait raréfier l'air de sa cellule, et on eût dit, à la
langueur de son être, qu'il lui restait à peine quelques instants à vivre.
«Bon père Alexis, lui dis-je, votre tendresse pour moi est-elle donc déjà
fatiguée? J'ai été faible et craintif, il est vrai; mais vous me sembliez si
fort, si vivant, que je comptais retrouver en vous assez de chaleur pour
me pardonner ma faute, pour l'effacer et pour me fortifier de nouveau.
Mon âme retombe dans la mort avec la vôtre: ne pouvez-vous, comme
hier, faire un miracle qui nous ranime tous les deux?
--L'esprit n'est point avec moi aujourd'hui, dit-il. Je suis triste, je doute
de tout, et même de toi. Reviens demain, je serai peut-être illuminé.
--Et que deviendrai-je jusque là?
--L'Esprit est fort, l'Esprit est bon; peut-être t'assistera-t-il directement.
En attendant, je veux te donner un conseil pour adoucir l'amertume de
ta situation. Je sais pourquoi les moines ont adopté envers toi ce
système d'inflexible méchanceté. Ils agissent ainsi avec tous ceux dont
ils craignent l'esprit de justice et la droiture naturelle. Ils ont pressenti
en toi un homme de coeur, sensible à l'outrage, compatissant à la
souffrance, ennemi des féroces et lâches passions. Ils se sont dit que
dans, un tel homme ils ne trouveraient pas un complice, mais un juge;
et ils veulent faire de toi ce qu'ils font de tous ceux dont la vertu les
effraie et dont la candeur les gène. Ils veulent t'abrutir, effacer en toi
par la persécution toute notion du juste et de l'injuste, émousser par
d'inutiles souffrances toute généreuse énergie. Ils veulent, par de
mystérieux et vils complots, par des énigmes sans mot et des
châtiments sans objet, t'habituer à vivre brutalement dans l'amour et
l'estime de toi seul, à te passer de sympathie, à perdre toute confiance, à
mépriser toute amitié. Ils veulent te faire désespérer de la bonté du
maître, te dégoûter de la prière, te forcer à mentir ou à trahir tes frères
dans la confession, te rendre envieux, sournois, calomniateur, délateur.
Ils veulent te rendre pervers, stupide et
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