Spiridion | Page 7

George Sand
l'instant même purger la maison de
Dieu de mon souffle impur, et céder ma place à un serviteur de Dieu.
Cet arrêt inique me blessa tellement que j'entrai dans une colère
insensée. Je sortis de l'église en frappant du poing sur les murs comme
un furieux. Le convers me chassait dehors en me traitant de
blasphémateur et de sacrilège.
Au moment où je franchissais la porte au fond du choeur qui donnait
sur le jardin, le chagrin et l'indignation faillirent me faire perdre encore
une fois l'usage de mes sens. Je chancelai; un nuage passa devant mes
yeux; mais la fierté vainquit le mal, et je m'élançai vers le jardin, en me
jetant un peu de côté pour faire place à une personne que je vis tout à
coup sur le seuil face à face avec moi. C'était un jeune homme d'une
beauté surprenante, et portant un costume étranger. Bien qu'il fût
couvert d'une robe noire, semblable à celle des supérieurs de notre
ordre, il avait en dessous une jaquette demi-courte en drap fin, attachée
par une ceinture de cuir à boucle d'argent, à la manière des anciens
étudiants allemands. Comme eux, il portait, au lieu des sandales de nos
moines, des bottines collantes, et sur son col de chemise, rabattu et
blanc comme la neige, tombait à grandes ondes dorées la plus belle
chevelure blonde que j'aie vue de ma vie. Il était grand, et son attitude
élégante semblait révéler l'habitude du commandement. Frappé de
respect et rempli d'incertitude, je le saluai à demi. Il ne me rendit point
mon salut; mais il me sourit d'un air si bienveillant, et en même temps
ses beaux yeux, d'un bleu sévère, s'adoucirent pour me regarder avec
une compassion si tendre, que jamais ses traits ne sont sortis de ma
mémoire. Je m'arrêtai, espérant qu'il me parlerait, et me persuadant,
d'après la majesté de son aspect, qu'il avait le pouvoir de me protéger;
mais le convers qui marchait derrière moi, et qui ne semblait faire
aucune attention à lui, le força brutalement de se retirer contre le mur,

et me poussa presque jusqu'à me faire tomber. Ne voulant point
engager une lutte avilissante avec cet homme grossier, je me hâtai de
sortir; mais, après avoir fait trois pas dans le jardin, je me retournai, et
je vis l'inconnu qui restait debout à la même place et me suivait des
yeux avec une affectueuse sollicitude. Le soleil donnait en plein sur lui
et faisait rayonner sa chevelure. Il soupira, et, levant ses beaux yeux,
vers le ciel, comme pour appeler sur moi le secours de la justice
éternelle et la prendre à témoin de mon infortune, il se tourna lentement
vers le sanctuaire, entra dans le choeur et se perdit dans l'ombre; car la
brillante clarté du jour faisait paraître ténébreux l'intérieur de l'église.
J'avais envie de retourner sur mes pas malgré le convers, de suivre ce
noble étranger et de lui dire mes peines; mais quel était-il pour les
accueillir et les faire cesser? D'ailleurs, s'il attirait vert lui la sympathie
de mon âme, il m'inspirait aussi une sorte de crainte; car il y avait dans
sa physionomie autant d'austérité que de douceur.
Je montai vers le père Alexis, et lui racontai les nouvelles cruautés
exercées envers moi.
«Pourquoi avez-vous douté, ô homme de peu de foi? me dit-il d'un air
triste. Vous vous nommez Ange, et, au lieu de reconnaître l'esprit de
vie qui tressaille en vous, vous avez voulu aller vous jeter aux pieds
d'un homme ignorant, demander la vie à un cadavre! Ce directeur
ignare vous repousse et vous humilie. Vous êtes puni par où vous avez
péché, et votre souffrance n'a rien de noble, votre martyre rien d'utile
pour vous-même, parce que vous sacrifiez les forces de votre
entendement à des idées fausses ou étroites. Au reste, j'avais prévu ce
qui vous arrive; vous me craignez; vous ne savez pas si je suis le
serviteur des anges ou l'esclave des démons. Vous avez passé la nuit
dernière à commenter toutes mes paroles, et vous avez résolu ce matin
de me vendre à mes ennemis pour une absolution.
--Oh! ne le croyez pas, m'écriai-je; je me serais confessé de tout ce qui
m'était personnel sans prononcer votre nom, sans redire une seule de
vos paroles. Hélas! serez-vous donc, vous aussi, injuste envers moi?
Serai-je repoussé de partout? La maison de Dieu m'est fermée, votre
coeur me le sera-t-il de même! Le père Hégésippe m'accuse d'impiété;
et vous, mon père, vous m'accusez d'être lâche!
--C'est que vous l'avez été, répondit Alexis. La puissance des moines
vous intimide, leur haine vous épouvante. Vous enviez leurs suffrages

et leurs cajoleries aux ineptes disciples qu'ils choient tendrement. Vous
ne savez pas vivre seul, souffrir seul, aimer seul.
--Eh bien! mon père, il est vrai, je
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