Spiridion | Page 6

George Sand
reconnais à cette heure, et ta chevelure est blonde comme la
chevelure de celui qui t'envoie. Mon fils, sois béni, et que le pouvoir de
l'Esprit s'accomplisse en toi... Tu es mon fils bien-aimé, et c'est en toi
que je mettrai toute mon affection.»
Il me pressa sur son sein, et levant les yeux au ciel, il me parut sublime.
Son visage prit une expression que je n'avais vue que dans ces têtes de
saints et d'apôtres, chefs-d'oeuvre de peinture qui ornaient l'église du
couvent. Ce que j'avais pris pour de l'égarement eut à mes yeux le
caractère de l'inspiration. Je crus voir un archange, et, pliant les deux
genoux, je me prosternai devant lui.
Il m'imposa les mains, en disant:
«Cesse de souffrir! que la flèche acérée de la douleur cesse de déchirer
ton sein; que le dard empoisonné de l'injustice et de la persécution
cesse de percer ta poitrine; que le sang de ton coeur cesse d'arroser des
marbres insensible. Sois consolé, sois guéri, sois fort, sois béni.
Lève-toi!
Je me relevai et sentis mon âme inondée d'une telle consolation, mon
esprit raffermi par une espérance si vive, que je m'écriai:
«Oui, un miracle s'est accompli en moi, et je reconnais maintenant que
vous êtes un saint devant le Seigneur.
--Ne parle pas ainsi, mon enfant, d'un homme faible et malheureux, me
dit-il avec tristesse; je suis un être ignorant et borné, dont l'Esprit a eu
pitié quelquefois. Qu'il soit loué à cette heure, puisque j'ai eu la
puissance de te guérir. Va en paix; sois prudent, ne me parle en

présence de personne, et ne viens me voir qu'en secret.
--Ne me renvoyez pas encore, mon père, lui dis-je; car qui sait quand je
pourrai revenir? Il y a des peines si sévères contre ceux qui approchent
de votre laboratoire, que je serai peut-être bien longtemps avant de
pouvoir goûter de nouveau la douceur de votre entretien.
--Il faut que je te quitte et que _je consulte_, répondit le père Alexis. Il
est possible qu'on te persécute pour la tendresse que tu vas m'accorder;
mais l'Esprit te donnera la force de vaincre tous les obstacles, car il m'a
prédit ta venue, et ce qui doit s'accomplir est dit.
Il se rassit sur son fauteuil, et tomba dans un profond sommeil. Je
contemplai longtemps sa tête, empreinte d'une sérénité et d'une beauté
surnaturelle, bien différente en ce moment de ce qu'elle m'était apparue
d'abord; puis, baisant avec amour le bord de sa robe grise, je me retirai
sans bruit.
Quand je ne fus plus sous le charme de sa présence, ce qui s'était passé
entre lui et moi me fit l'effet d'un songe. Moi, si croyant, si orthodoxe
dans mes études et dans mes intentions; moi, que le seul mot d'hérésie
faisait frémir de crainte et d'horreur, par quelles paroles avais-je donc
été fasciné, et par quelle formule avais-je laissé unir clandestinement
ma destinée à cette destinée inconnue? Alexis m'avait soufflé l'esprit de
révolte contre mes supérieurs, contre ces hommes que je devais croire
et que j'avais toujours crus infaillibles. Il m'avait parlé d'eux avec un
profond mépris, avec une haine concentrée, et je m'étais laissé
surprendre par les figures et l'obscurité de son langage. Maintenant ma
mémoire me retraçait tout ce qui eût dû me faire douter de sa foi, et je
me souvenais avec terreur de lui avoir entendu citer et invoquer à
chaque instant l'_Esprit_, sans qu'il y joignît jamais l'épithète consacrée
par laquelle nous désignons la troisième personne de la Trinité divine.
C'était peut-être au nom du malin esprit qu'il m'avait imposé les mains.
Peut-être avais-je fait alliance avec les esprits de ténèbres en recevant
les caresses et les consolations de ce moine suspect. Je fus troublé,
agité; je ne pus fermer l'oeil de la nuit. Comme la veille, je fus oublié et
abandonné. De même que la nuit précédente, je m'endormis au jour et
me réveillai tard. J'eus honte alors d'avoir manqué depuis tant d'heures
à mes exercices de piété: je me rendis à l'église, et je priai ardemment
l'Esprit saint de m'éclairer et de me préserver des embûches du
tentateur.

Je me sentis si triste et si peu fortifié au sortir de l'église, que je me crus
dans une voie de perdition, et je résolus d'aller me confesser. J'écrivis
un mot au père Hégésippe pour le supplier de m'entendre; mais il me fit
faire verbalement, par un des convers les plus grossiers, une réponse
méprisante et un refus positif. En même temps ce convers m'intima, de
la part du Prieur, l'ordre de sortir de l'église et de n'y jamais mettre les
pieds avant la fin des offices du soir. Encore, si un religieux prolongeait
sa prière dans le choeur, ou y rentrait pour s'y livrer à quelque acte de
dévotion particulière, je devais à
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