Souvenirs entomologiques - Livre I | Page 5

Jean-Henri Fabre
ailes enfum��es et du revers de ses brassards dent��s culbute le propri��taire, impuissant �� parer l'attaque dans sa posture d'attelage. Pendant que l'expropri�� se d��m��ne et se remet sur jambes, l'autre se campe sur le haut de la boule, position la plus avantageuse pour repousser l'assaillant. Les brassards pli��s sous la poitrine et pr��t �� la riposte, il attend les ��v��nements. Le vol�� tourne autour de la pelote, cherchant un point favorable pour tenter l'assaut; le voleur pivote sur le d?me de la citadelle et constamment lui fait face. Si le premier se dresse pour l'escalade, le second lui d��tache un coup de bras qui l'��tend sur le dos. Inexpugnable du haut de son fort, l'assi��g�� d��jouerait ind��finiment les tentatives de son adversaire si celui-ci ne changeait de tactique pour rentrer en possession de son bien. La sape joue pour faire crouler la citadelle avec la garnison. La boule, inf��rieurement ��branl��e, chancelle et roule, entra?nant avec elle le bousier pillard, qui s'escrime de son mieux pour se maintenir au dessus. Il y parvient, mais non toujours, par une gymnastique pr��cipit��e qui lui fait gagner en altitude ce que la rotation du support lui fait perdre. S'il est mis �� pied par un faux mouvement, les chances s'��galisent et la lutte tourne au pugilat. Voleur et vol�� se prennent corps �� corps, poitrine contre poitrine. Des pattes s'emm��lent et se d��m��lent, les articulations s'enlacent, les armures de corne se choquent ou grincent avec le bruit aigre d'un m��tal lim��. Puis celui des deux qui parvient �� renverser sur le dos son adversaire et �� se d��gager, �� la hate prend position sur le haut de la boule. Le si��ge recommence, tant?t par le pillard, tant?t par le pill��, suivant que l'ont d��cid�� les chances de la lutte corps �� corps. Le premier, hardi flibustier sans doute et coureur d'aventures, fr��quemment a le dessus. Alors, apr��s deux ou trois d��faites, l'expropri�� se lasse et revient philosophiquement au tas pour se confectionner une nouvelle pilule. Quant �� l'autre, toute crainte de surprise dissip��e, il s'attelle et pousse o�� bon lui semble la boule conquise. J'ai vu parfois survenir un troisi��me larron qui volait le voleur. En conscience, je n'en ��tais pas fach��.
Vainement, je me demande quel est le Proudhon qui a fait passer dans les moeurs du Scarab��e l'audacieux paradoxe: ?_La propri��t��, c'est le vol_?; quel est le diplomate qui a mis en honneur chez les bousiers la sauvage proposition: ?_La force prime le droit._? Les donn��es me manquent pour remonter aux causes de ces spoliations pass��es en habitude, de cet abus de la force pour la conqu��te d'un crottin; tout ce que je peux affirmer, c'est que le larcin est, parmi les Scarab��es, d'un usage g��n��ral. Ces rouleurs de bouse se pillent entre eux avec un sans-g��ne dont je ne connais pas d'autre exemple aussi effront��ment caract��ris��. Je laisse aux observateurs futurs le soin d'��lucider ce curieux probl��me de la psychologie des b��tes, et je reviens aux deux associ��s roulant de concert leur pilule.
Mais, d'abord, dissipons une erreur qui a cours dans les livres. Je lis dans le magnifique ouvrage de M. ��mile Blanchard, _M��tamorphoses, Moeurs et Instincts des insectes_, le passage suivant: ?Notre insecte se trouve parfois arr��t��, par un obstacle insurmontable, la boule est tomb��e dans un trou. C'est ici qu'appara?t chez l'Ateuchus[2] une intelligence de la situation vraiment ��tonnante, et une facilit�� de communication entre les individus de la m��me esp��ce plus surprenante encore. L'impossibilit�� de franchir l'obstacle avec la boule ��tant reconnue, l'Ateuchus semble l'abandonner, il s'envole au loin. Si vous ��tes suffisamment dou�� de cette grande et noble vertu qu'on appelle la patience, demeurez pr��s de cette boule laiss��e �� l'abandon: au bout de quelque temps, l'Ateuchus reviendra �� cette place, et il n'y reviendra pas seul; il sera suivi de deux, trois, quatre, cinq compagnons qui s'abattent tous �� l'endroit d��sign��, mettent leurs efforts en commun pour enlever le fardeau. L'Ateuchus a ��t�� chercher du renfort, et voil�� comment, au milieu des champs arides, il est si ordinaire de voir plusieurs Ateuchus r��unis pour le transport d'une seule boule.? -- Je lis enfin dans le _Magasin d'entomologie_ d'Illiger: -- ?Un Gymnopleure pilulaire[3] en construisant la boule de fiente destin��e �� renfermer ses oeufs, la fit rouler dans un trou, d'o�� il s'effor?a pendant longtemps de la tirer tout seul. Voyant qu'il perdait son temps en vains efforts, il courut �� un tas de fumier voisin chercher trois individus de son esp��ce, qui, unissant leurs forces aux siennes, parvinrent �� retirer la boule de la cavit�� o�� elle ��tait tomb��e, puis retourn��rent �� leur fumier continuer leurs travaux.?
J'en demande bien pardon �� mon illustre ma?tre, M. Blanchard, mais certainement, les choses ne se passent pas ainsi. D'abord les deux r��cits sont tellement conformes, qu'ils ont sans doute
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