se fâcher de la
publication des Mémoires de M. de Bourrienne. La discussion qu'ils ont
provoquée a fait jaillir la vérité dans tout son éclat. Ce n'est pas, après
tout, la première fois que la calomnie a tourné au profit du calomnié.
Ajoutons que dans l'intention de donner du crédit aux inculpations qu'il
n'épargne pas à son ami, M. de Bourrienne le disculpe victorieusement
sur certains chefs d'accusation qui passaient pour fondés[4]. C'est
toujours quelque chose.
Souhaitons que M. de Bourrienne fasse un jour dans son propre intérêt
ce qu'il a fait dans celui de Napoléon, et qu'il réfute par des
démonstrations les reproches qu'on lui adresse et auxquels il n'oppose
que des dénégations.
Ses Mémoires contiennent sa propre histoire autant que celle de
Napoléon; cela devait être. Quand on publie un factum à l'occasion d'un
procès où l'on est impliqué, il est difficile de ne pas parler beaucoup de
soi.
Il n'en est pourtant pas ainsi des Mémoires de M. Constant. C'est
presque uniquement de Napoléon que cet autre commensal de
Napoléon nous entretient. Il avait aussi un procès à soutenir devant le
public, et prenait la plume dans un intérêt assez semblable à celui qui
l'a fait prendre à M. de Bourrienne. S'il n'a pas été renvoyé par son
maître, il a quitté. Le public lui demandait par quels motifs, au moment
de la mauvaise fortune, il s'était séparé du grand homme qui l'avait
appelé auprès de lui au temps de sa prospérité.
On n'attend pas d'un domestique toute la délicatesse qu'on exige d'un
secrétaire, en conséquence, on eût vu sans surprise celui-ci justifier cet
abandon aux dépens de son patron; et comme un héros ne l'est pas pour
son valet, on comptait sur des révélations qui auraient montré sous un
aspect un peu moins louable dans sa vie privée l'homme qui dans sa vie
publique commande si fréquemment l'admiration; on s'attendait à ce
que cet ennemi intime ferait voir un tyran domestique dans le despote
qui asservissait l'Europe: c'était une consolation pour l'envie.
Malheureusement il n'en a pas été ainsi; et des serviteurs de Napoléon
qui ont écrit de lui, M. de Bourrienne est le seul pour qui le proverbe
précité ne soit pas en défaut.
Loin d'être d'un ennemi, les révélations du valet de chambre sont de
l'ami le plus dévoué et donnent du maître l'idée la plus favorable. Elles
démontrent que personne n'était plus traitable dans son intérieur, plus
doux avec ses gens que l'homme qui fut si terrible aux rois; que si sa
tête était ouverte à toutes les ambitions, son coeur n'était fermé à
aucune affection tendre, et qu'il était accessible aux sentimens
d'humanité qui semblent le plus incompatibles avec les habitudes de la
politique.
Cette histoire de la vie intérieure de Napoléon est complète, trop
complète peut-être. On y voit que la galanterie était un délassement
pour cet empereur, comme pour tant de personnages qui l'ont précédé
sur le trône, et qu'en faiblesses même, il ne lui manquait rien de ce que
nous divinisions dans nos rois. Mais s'il ressemble aux plus grands
d'entre eux sous ce rapport, du moins est-il un point sous lequel il en
diffère: c'est qu'il ne tirait pas vanité de ses faiblesses, c'est qu'il
n'appelait pas l'attention publique sur ce que le public devait ignorer,
c'est qu'il respectait assez la morale pour tenir secret ce dont la morale
pouvait s'offenser, c'est qu'il ne prétendait pas obliger le peuple à
honorer les femmes qu'il eût déshonorées par cette injurieuse exigence.
Son confident ne l'a pas tout-à-fait imité dans sa réserve. Mais encore
ne fait-il qu'entr'ouvrir le rideau de l'alcôve impériale; et s'il ne se tait
pas sur les faits, se tait-il toujours sur les noms. Cela est louable à une
époque où tant de chroniqueurs spéculent sur le scandale, où les
réputations sont continuellement sacrifiées à de vils intérêts de librairie,
où tant de faiseurs de Mémoires exploitent surtout la diffamation,
ingrédient non moins favorable au succès d'un livre que le fumier à la
fertilité d'un champ, et s'emparant de l'honneur des gens, de leur vivant
même, en usent avec eux comme ces apprentis de Saint-Côme avec le
chien vivant qu'ils soumettent au tranchant du scalpel.
Joints à ceux de M. de Bourrienne et à ceux du duc de Rovigo, les
Mémoires de Constant, qui embrassent l'histoire de Napoléon depuis
son avènement au pouvoir jusqu'à son abdication, ne laissaient guère à
désirer que des détails plus circonstanciés sur la partie de sa vie
antérieure à son élévation.
Cette lacune vient d'être remplie en partie par les Mémoires de Mme la
Duchesse d'Abrantès. On y trouve des détails précieux sur l'enfance et
l'adolescence de cet homme si extraordinaire, qui, d'origine grecque,
annonçait en lui dès l'âge le plus tendre un homme de Plutarque,
comme le disait Paoli. On y voit l'instinct
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