nuit ici.
Me voilà au désespoir, d'autant plus que dans le moment même, je vis entrer un grand homme noir, costumé tout-à-fait comme Bartholo, ce qui me le fit reconna?tre aussit?t pour un messager du gouvernement papal. Ses habits, son visage pale et sérieux, lui donnaient un aspect qui me fit tout-à-fait peur. Il tenait à la main un papier, que je pris naturellement pour l'ordre de quitter la ville dans les vingt-quatre heures.--Je sais ce que vous venez m'apprendre, signor, lui dis-je d'un air assez chagrin.--Je viens vous apporter la permission de rester ici tant qu'il vous plaira, madame, répondit-il.
On juge de la joie que me donna une aussi bonne nouvelle, et de mon empressement à profiter de cette faveur[4]. Je me rendis aussit?t à l'église de Sainte-Agnès, où se trouve placé le tableau du martyre de cette sainte, peint par le Dominicain. La jeunesse, la candeur est si bien exprimée sur le beau visage de sainte Agnès, celui du bourreau qui la frappe d'un poignard forme un si cruel contraste avec cette nature toute divine, que la vue de cette admirable tableau me saisit d'une pieuse admiration.
Je m'étais agenouillée devant le chef-d'oeuvre, et les sons de l'orgue me faisaient entendre l'ouverture d'Iphigénie parfaitement bien exécutée. Le rapprochement involontaire que je fis entre la jeune victime des pa?ens et la jeune victime chrétienne, le souvenir du temps si calme et si heureux où j'avais entendu cette même musique, et la triste pensée des maux qui pesaient alors sur ma malheureuse patrie, tout oppressa mon coeur au point que je me mis à pleurer amèrement et à prier Dieu pour la France. Heureusement j'étais seule dans l'église, et je pus y rester long-temps, livrée aux émotions si vives qui s'étaient emparées de mon ame.
En sortant, j'allai visiter plusieurs des palais qui renferment les chefs-d'oeuvre des grands ma?tres de l'école de Bologne, plus féconde qu'aucune autre école italienne. Il faudrait des volumes pour décrire les beautés dont le Guide, le Guerchin, les Carraches, le Dominicain, ont orné ces pompeuses habitations. Dans l'un de ces palais, le custode me suivait, s'obstinant à me nommer l'auteur de chaque tableau. Cela m'impatientait beaucoup, et je lui dis doucement qu'il prenait une peine inutile; que je connaissais tous ces ma?tres. Il se contenta donc de continuer seulement à m'accompagner; mais comme il m'entendait m'extasier devant les plus beaux ouvrages en nommant le peintre, il me quitta pour aller dire à mon domestique:--Qui donc est cette dame? j'ai conduit de bien grandes princesses, mais je n'en ai jamais vue qui s'y connaisse aussi bien qu'elle.
Le palais Caprara renferme, dans sa première galerie, des trophées militaires indiens et turcs, dont plusieurs sont la dépouille de généraux vaincus par la famille Caprara. Le portrait du plus célèbre guerrier de ce nom est au bout de la galerie, qui, je crois, est unique dans son genre.
On voit, dans la seconde galerie, une tête de prophète et la Sibylle de Cumes du Guerchin, dans son meilleur temps; une Ascension du Dominicain, quelques têtes de Carlo Dolce et du Titien; une Sainte Famille du Carrache, et deux petits ronds de l'Albane, d'une grande finesse.
Le palais Bonfigliola possède un beau Saint Jér?me de l'Espagolet, une Sibylle du Guide, appuyée sur sa main, tenant son papyrus; et plusieurs autres chefs-d'oeuvre.
Le palais Zampieri: Henri IV et Gabrielle de Rubens; dans la salle d'Annibal Carrache, la Déposition du Christ, effet de nuit, superbe tableau. Le portrait de Louis Carrache, peint par lui-même. Un plafond du Guerchin représentant Hercule qui étouffe Antée, et le Départ d'Agar, beau tableau, plein d'expression. C'est dans ce palais que l'on voit le chef-d'oeuvre du Guide, saint Pierre et saint Paul causant ensemble. Ce tableau réunit toutes les perfections; les moindres détails y sont d'une telle vérité, que ces deux figures font illusion au point qu'on croit les entendre parler. C'est bien certainement ce que le Guide a fait de plus beau.
Trois jours après mon arrivée (le 3 novembre 1789), j'avais été re?ue membre de l'Académie et de l'Institut de Bologne. M. Bequetti, qui en était le directeur, vint m'apporter lui-même mes lettres de réception.
Je me consolais d'abandonner tant de chefs-d'oeuvre par l'idée de tous ceux que j'allais trouver à Florence. Après avoir traversé les Apennins et les montagnes arides de Radico Fani, nous parcour?mes un pays plein de belles cultures, qui est la limite de la Toscane. à droite du chemin, on me montra un petit volcan, qui s'enflamme à l'approche d'une lumière, et que l'on nomme Fuoco di Lagno. Plus loin, le chemin s'étant élevé, je découvris Florence, située au fond d'une large vallée, ce qui d'abord me parut triste; car j'aime beaucoup que l'on batisse sur les hauteurs; mais sit?t que j'entrai dans la ville, je fus surprise et charmée de sa beauté.
Après m'être installée dans l'h?tel qu'on m'avait
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