puis s'allongeaient autour des cendres chaudes. Au
petit jour, ils détalaient sur le chantier avant le lever de leurs maîtres,
les maçons.
Pauvres diables! il faut bien gîter quelque part. La belle étoile dore les
rêves, mais seulement quand le temps est sec; et ce n'est pas avec dix
sous par jour qu'on peut prétendre à une chambre d'hôtel. Et hors du
bordj, à part les gourbis des mercantis et les huttes des tailleurs de
pierre, on ne trouvait que la broussaille et la grande plaine déserte.
Donc on les tolérait, car le capitaine avait dit «qu'ils séchaient les
fondations.» Mais du moment où ces guenillards payaient notre
hospitalité en nous volant nos poules..... la quatrième en huit jours, nom
de Dieu! la fureur de Fortescu nous gagnant, nous nous précipitâmes
dans les caves.
--Debout, tas de sauvages!
Lisant sur notre mine une catastrophe prochaine, les malheureux
blêmirent, se levèrent précipitamment, accueillant par un silence
funèbre notre furieuse irruption.
--Qui a volé les poules? nom de Dieu! les poules du capitaine!
Terrifiés, ils se regardaient. Puis, le premier moment de stupeur passé,
un concert de dénégations indignées et de protestations vertueuses
s'éleva. Tous posant la main sur leur coeur se jurèrent sur la tête du
prophète et la barbe de leurs aïeux, incapables d'un aussi abominable
forfait.
Incrédules et ironiques, nous fîmes d'un coup de pied sauter les vieilles
écuelles où mitonnait sur le feu la pitance du soir. Des sauces
innommées coulèrent sur les tisons, des débris noirâtres, fragments de
tête de mouton ou de cou de vache, roulèrent dans les cendres, mais de
traces de poule, point. On fouilla les coins, on remua du bout de la
botte de petits tas de hardes, des morceaux de natte pourrie; pas de
poule, pas de poule! Finalement, par acquit de conscience et pour qu'il
ne fût pas dit qu'on avait manqué de zèle, on balaya d'un dernier coup
de pied les petits foyers misérables, faisant voltiger de droite et de
gauche débris de gamelles et débris de viandes, oignons rôtis et bois
brûlé; et l'adjudant Pechiné remonta rendre compte du résultat de sa
mission.
--Pas de poule, mon lieutenant.
--Parbleu; aviez-vous la naïveté de croire qu'ils allaient vous présenter
ma poule sur un plateau! Mais ils l'ont dévorée, les cochons! Ils l'ont
engloutie, les goinfres. Qu'on les f...iche dehors et qu'on ne les revoie
plus.
II
On les f...icha dehors. Ça ne traîna pas, je vous jure. La pluie redoublait
de violence. Le vent soufflait au corps, y collant les vêtements mouillés.
Ils allèrent, je ne sais où, emportant leurs hardes humides, pensifs,
silencieux, sans un murmure, le ventre creux, l'estomac vide, courbés
sous le destin maudit.
Et quand le dernier eut disparu, l'adjudant promena partout sa lanterne.
Il remontait l'escalier lorsqu'il entendit un gémissement. Il fouilla de
nouveau et dirigeant le rayon dans un recoin ténébreux, il éclaira
soudain un groupe de deux hommes.
--Eh! là! qui est-ce?
Dans le retrait le plus obscur, sous l'escalier de la cave était blotti un
vieux nègre secoué par la fièvre ou le froid; et accroupi à ses côtés, lui
soutenant la tête, un second nègre, celui-là, jeune et vigoureux, essayait
de le réchauffer. Il s'était dépouillé à cet effet de son burnous et de sa
goudourah, et entièrement nu, grelottant lui-même, il se penchait sur
l'autre, l'enlaçant; mais les dents du vieux claquaient avec un bruit de
castagnettes, et l'on voyait, spectacle lamentable, sa barbe blanche,
courte et laineuse, frisottant sous le menton, monter et descendre avec
des mouvements saccadés et rapides, tandis que les yeux se fixaient
hébétés et immobiles sur le feu de la lanterne.
Le jeune, collé au vieux, le couvrait de son corps et de ses bras comme
un enfant qu'on cache, se faisant aussi étroit que possible, cherchant
encore à se dissimuler.
--Ah! les sauvages, cria l'adjudant. Encore deux ici. Plus moyen de se
débarrasser de cette vermine. Dehors, nom de Dieu! dehors!
Il cherchait à s'exciter lui-même, à se mettre en colère, mais ce n'était
pas un méchant garçon, et au fond il se sentait le coeur gros, de jeter
ainsi dans la nuit pluvieuse ce vieillard mourant de fièvre.
Alors le jeune se leva, et humble, caressant, suppliant:
--Sidi, je t'en prie, laisse-nous. C'est mon père. Tu vois, la fièvre le
ronge. Je l'ai amené aujourd'hui de Souk-Arras, mais il ne peut aller
plus loin. Ne nous chasse pas, Sidi, nous n'avons fait aucun mal. S'il y
avait eu un douar près d'ici, nous serions allés jusqu'au douar. Je
l'aurais porté sur mes épaules, mais il n'y en a pas. Laisse-nous pour
cette nuit, dans ce petit coin noir. Nous ne ferons pas de bruit, nous ne
bougerons pas et nous te débarrasserons demain avant l'aube.
L'adjudant remonta l'escalier.
--Tous partis? demanda l'officier.
--Oui, mon lieutenant... à
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