lent une chanson de guerre et d'amour:
Kradidja, tes sourcils, tes paupières, Tes longs cheveux, Comme le fil
des cimeterres Blessent les yeux.
Ils s'interrompaient pour regarder passer le Kroumir, disant comme le
factionnaire:
--Le salut soit sur vous!
Deux ou trois, sans bouger de place, tendaient la main pour offrir leur
tasse à moitié pleine:
--Bois, homme, la journée sera chaude.
Et Ali-bel-Kassem, paterne, complaisant et souriant, arrêtait son cheval.
--Elle sera chaude, homme, bois.
Et quand le prisonnier rendait la tasse vide, en remerciant, on lui
souhaitait bon voyage:
--Que ton jour soit heureux!
--Que ton ventre n'ait jamais faim!
III
Cependant les mercantis, débitants d'absinthe empoisonnée et de vins
frelatés, escrocs, banqueroutiers, repris de justice, marchands de tout
acabit, debout sur le seuil de leurs huttes, de leurs tentes, de leurs
gourbis, gorgés de denrées malsaines, criaient au brigadier de spahis:
--Encore un Kroumir, «grand champêtre!» A quoi bon le conduire à
Tebessa? Démolis-le donc dans la broussaille, imbécile. Ce sera
toujours une canaille de moins.
--Marche, marche, homme! disait Bel-Kassem, sans même daigner jeter
un regard sur cette gueusaille.
Et l'homme passait, la tête haute, l'oeil fixe, plein de dédain aussi, mais
pressant le pas, car il sentait siffler à ses oreilles, lui, le hardi voleur
arabe, les rires et les insultes des lâches filous chrétiens.
On sortait du village; on s'engageait sur le sentier pierreux de Tebessa,
au milieu des genêts des palmiers nains et des bruyères, ce que les
mercantis appellent la broussaille, sous les morsures déjà brûlantes du
soleil du matin.
L'homme marchait vite. Il n'entendait plus les rires des roumis, mais il
sentait sur sa nuque le souffle chaud du cheval.
Bientôt une bonne odeur d'eau fraîche montait avec un bruit de cascade.
Il y avait là, où le chemin fait un coude, une place ravissante,
enveloppée de lauriers-roses.
Quand les fleurs s'épanouissaient éclatantes sur le vert sombre, c'était
un coin du paradis. Les papillons, les scarabées d'or et les libellules s'y
donnaient rendez-vous, et les souffles de la brise y avaient d'énervantes
mollesses. Il n'y manquait que les houris, et on les voyait parfois
dévaler en groupe des douars, jambes et bras nus, pour puiser l'eau dans
la rivière qui clapotait au-dessous, au milieu des quartiers de roc
détachés de ses flancs pendant le dernier orage. Des chutes, des
bouillonnements, des écumes irisées des sept couleurs. Les perdrix
rouges venaient y boire, tandis que les grands lièvres au poil fauve
regardaient curieusement, oreilles dressées, au milieu des touffes de
diss.
C'était là où nous attendions, dans les étouffantes après-midi, les filles
des chaouias et où nous faisions l'amour, le pistolet à portée de la main
et au poignet la bride du cheval.
C'était la frontière, à trois quarts d'heure du bordj et du village
d'El-Meridj, et Ali-bel-Kassem, l'oeil aux aguets, ralentissait son allure.
Et l'autre ralentissait aussi son pas, et, ne sentant plus le naseau du
cheval sur sa nuque, reprenait haleine.
Il humait l'air frais, heureux de ce coin d'ombre, et, se retournant, disait:
--Je te prie, Sidi, depuis huit jours, tu le sais, j'étais enterré vivant et
privé d'eau dans les ordures d'un silo; au nom du Prophète, permets que
je fasse l'oudou el serir.
Un vrai serviteur de Dieu peut-il refuser à un prisonnier qui passe près
d'une rivière le droit à la petite ablution? L'ablution est sainte et
obligatoire comme la prière, et ce n'est pas le dévot Bel-Kassem, qui
eût songé à s'y opposer.
--Fais, répondait-il en détachant le chapelet de son cou, je te donnerai
tout te temps que je mettrai à prononcer les quatre-vingt-dix-neuf noms
d'Allah!
Et il égrenait les grains d'ivoire un à un, sans se presser, murmurant sur
chaque, un des noms de Dieu:
Dieu le Grand; Dieu le Miséricordieux; Dieu le Juste; Dieu l'Immuable;
Dieu le Maître de l'heure.
Pendant que le bédouin se laissant glisser le long de la pente crayeuse,
et s'accroupissant, baignait sa face et plongeait avec délices ses jambes
et ses bras dans l'eau.
Du haut de sa monture, immobile sur le bord, le grand champêtre ne le
quittait pas de l'oeil, continuant sa litanie:
Dieu le Vivant; Dieu le Très-Haut; Dieu le Clément,
Et quand il avait fini, il se récitait le verset:
.... Le Prophète a dit: «Celui que la mort surprendra la prière au lèvres
ou au moment d'une action louable ou d'un acte religieux, celui-là est
béni.»
Puis il replaçait méthodiquement le chapelet à son cou, par dessus son
burnous rouge, portait la main sur la poignée de son pistolet, le tirait
lentement de sa gaine, et l'armait sans bruit.
Et le corps penché, l'avant-bras appuyé sur l'épaule du cheval, il visait à
son aise pendant une ou deux secondes.
--Les chrétiens maudits l'ordonnent, mais, par le Koran glorieux, tu te
feras leur accusateur lorsque le
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