Socrate et sa femme | Page 7

Théodore de Banville
Xantippe.
XANTIPPE.
Non, je veux la mettre à deux genoux Là, devant moi, plonger mes
deux mains dans l'or fauve De cette chevelure, et la rendre plus chauve
Que son amant, le beau Socrate!
Exaspérée et faisant un suprême effort.
Allons! pourquoi Me retenir? Je veux...
SOCRATE.
Xantippe, calme-toi.

XANTIPPE, que sa rage étouffe.
Je veux... Je veux... le sang inonde ma poitrine... Et j'étouffe... Je
meurs... De l'air!... De l'air!...
Elle tombe sur le lit de repos, pâle et inanimée.
SOCRATE, bouleversé.
Myrrhine, Elle pâme! De l'eau!
Il s'agenouille aux pieds de Xantippe et tâche de la ranimer.
MYRRHINE, apportant un vase d'eau.
Quand ses yeux s'ouvriront, Je lui dirai...
SOCRATE.
Mouillons ses tempes et son front. Vois, la neige envahit son visage
immobile. Ô Myrrhine, elle meurt.
MYRRHINE.
Pas du tout. Sois tranquille, Socrate. Je suis femme. Elle vit. Je connais
Cela.
SOCRATE, penché sur Xantippe.
Xantippe, viens. Ouvre tes yeux. Renais! Vois dans quelle douleur ton
silence me jette. Entends-moi! Parle-moi! Non, sa bouche est muette.
Dieux! Je succombe. Ayez pitié de mes tourments! Au secours! Dieux!
_Pendant que Socrate a prononcé ces derniers vers, sont entrés
Antisthènes, Praxias, Eupolis, Dracès, Mélitta, Bacchis et tous les
personnages qu'on a vus à la scène quatrième._

SCÈNE VIII

MYRRHINE, SOCRATE, XANTIPPE, ANTISTHÈNES, PRAXIAS,
EUPOLIS, DRACÈS, MÉLITTA, BACCHIS, Citoyens et Femmes
d'Athènes.
DRACÈS, à Socrate.
Pourquoi de tels gémissements?
MYRRHINE, mettant un doigt sur les lèvres
Tais-toi, Dracès.
DRACÈS.
Myrrhine ici! Quelle merveille!
ANTISTHÈNES, à Socrate.
Pourquoi ces pleurs?
SOCRATE, montrant Xantippe évanouie.
Voyez Xantippe!
PRAXIAS.
Elle sommeille?
SOCRATE.
Elle meurt.
MÉLITTA, après avoir regardé Xantippe.
Ne crois pas cela.
BACCHIS, de même.
Bénis les Dieux! Elle vit et respire.

MYRRHINE, à Socrate.
Et tu vas voir ses yeux S'ouvrir à la clarté du ciel.
MÉLITTA, à Socrate.
Reprends courage, Maître.
MYRRHINE, aux assistants, sans être entendue de Socrate.
Sa pâmoison vient d'un accès de rage. L'évanouissement est réel;
cependant, Ne pas s'inquiéter sans mesure est prudent.
SOCRATE.
Secourez-la!
BACCHIS, riant, à Mélitta
Cédons à son désir frivole.
SOCRATE.
Je tremble que son âme errante ne s'envole.
_Les femmes entourent Xantippe, mais sans montrer une réelle
inquiétude. Socrate va se joindre à elles, lorsque Eupolis l'arrête et lui
barre le passage._
EUPOLIS, d'un ton railleur.
Et voilà tout?
DRACÈS.
C'est pour cela que tu gémis?
PRAXIAS.

Quoi donc! C'est pour cela qu'il pleure!
ANTISTHÈNES.
Ô mes amis, Pour une femme folle,
DRACÈS.
Acariâtre,
EUPOLIS.
Injuste,
ANTISTHÈNES.
Sombre,
PRAXIAS.
D'un entretien haineux,
ANTISTHÈNES.
D'un esprit fruste,
DRACÈS.
Amère,
EUPOLIS.
Qui le fait ployer comme un roseau,
PRAXIAS.
Et qui toujours fait rage avec ses cris d'oiseau!
BACCHIS.

Certes, s'il ne te faut qu'une épouse meilleure,
MÉLITTA.
Et plus douce,
BACCHIS.
Tu peux la trouver tout à l'heure.
ANTISTHÈNES.
Ne pleure pas, de peur de ressembler aux fous, Le mal dont tu guéris à
propos.
SOCRATE.
Taisez-vous! Xantippe va sortir de ma maison déserte, Et j'en sens dans
mon coeur l'irréparable perte. Car son utile rage était le fouet têtu Dont
la rude lanière éveillant ma vertu, Comme l'âne fouaillé par le vieillard
Silène, Tenait ma patience et ma farce en haleine. Si quelqu'un me
venait verser, dans ma maison, La molle flatterie et son subtil poison,
Quand j'avais jusqu'au bout, heureux et fier de vivre, Savouré ce doux
miel trompeur qui nous enivre, Ma Xantippe farouche, âpre comme la
mer, Me guérissait bien vite avec son fiel amer. Souvent, amis, loué par
tous, on le devine, J'ai pu me croire issu d'une race divine; Mais son
souffle railleur, glissant sur mon front nu, Me disait: «Tu n'es rien que
le premier venu!» S'endormant et mourant dans un repos vulgaire,
Notre vertu ressemble à ces coursiers de guerre Qui deviennent oisifs
sur le gazon des prés; Et lorsque je rêvais, riant aux cieux pourprés,
Oubliant tout, Xantippe accourait dès l'aurore, Et son cri m'éveillait
comme un clairon sonore!
PRAXIAS.
Maître! viens avec nous.
ANTISTHÈNES.

Libre de tous liens, Pense!
EUPOLIS.
Nous entendrons tes subtils entretiens Sur les grands Dieux et sur
l'éternité des choses, Près du clair Ilissos, bordé de lauriers-roses.
BACCHIS.
Et peut-être, au soleil qui t'illuminera, Plus tard, quelque naissant
amour devinera L'énigme de ton coeur, mystérieux OEdipe,
MÉLITTA.
Et te consolera d'avoir perdu Xantippe.
SOCRATE.
Elle absente, je n'ai plus faim pour d'autres mets. Sa place reste vide.
Avec une douleur violente et naïve.
Et quelle autre jamais Excellerait comme elle à prodiguer l'insulte?
Vivant près de Xantippe au sein du noir tumulte, Je ne craignais plus
rien, ni le peuple mouvant, Ni le tonnerre, ni la grêle, ni le vent, Ni le
soleil, ni l'âpre hiver et la froidure. Sans elle, nul espoir que ma sagesse
dure, Car au bruit de sa voix grondant comme un torrent, Je veillais, je
disais à toute heure: «Ignorant, Pense, étudie, apprends! Vil esclave,
travaille!»
EUPOLIS.
À
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