Socrate et sa femme | Page 6

Théodore de Banville
la
sainte joie De saisir, d'embrasser le vrai comme une proie, Et de sentir
en soi le doute évanoui. Vis avec lui! Cherche avec lui! Pense avec lui!
Ayant reçu de moi l'immortelle semence, Il faut qu'il la transmette, et
son labeur commence. Donc, toi, Myrrhine, sourde à la vaine rumeur,
Sois la terre fertile où passe le semeur Levant sa large main par le grain
débordée, Et de vous deux naîtra la moisson de l'idée. Ô Myrrhine, c'est
là le véritable hymen, Et quand le laboureur s'approche, ouvrant sa
main, Écoute avec fierté grandir son pas sonore. Ne le rebute pas
lorsqu'il vient dès l'aurore, Et garde que, chargé de ses dons les
meilleurs, Il ne porte la vie et la richesse ailleurs. Tu le peux! Ne parer
que son corps est barbare; Donc, pour que ton mari ne suive que toi,
pare Aussi ton âme, alors il entendra ta voix.

MYRRHINE.
Tu dis vrai! Tu dis vrai! Je le sens. Je le vois. Grâce à toi, je comprends,
en devenant meilleure, Que toute la beauté n'est pas extérieure; Et tout
ce qu'à ta suite il cherche en son ennui, Mon Dracès désormais le
trouvera chez lui. Sois béni par les Dieux, dont l'oreille m'écoute, Ô
maître excellent, toi qui m'as fait voir ma route!
À ce moment on voit Xantippe, qui paraît sur la terrasse.

SCÈNE VII
MYRRHINE, SOCRATE, XANTIPPE d'abord cachée.
XANTIPPE, à part.
Que se disent-ils donc? Ils parlent bien longtemps! Écoutons.
MYRRHINE, à Socrate.
Je le sais depuis que je t'entends, Je puis vaincre, et je n'ai plus rien qui
m'embarrasse.
SOCRATE, avec bonté.
Va donc.
_Myrrhine va pour sortir; mais elle revient vers Socrate, par un vif
mouvement d'admiration et de reconnaissance._
MYRRHINE.
Bon philosophe, il faut que je t'embrasse!
_Elle prend dans ses mains la tête de Socrate, et applique sur son front
et sur ses joues de bons gros baisers. Xantippe entre à ce même
moment et court vers Myrrhine, en proie à la plus violente fureur._

XANTIPPE.
Bon appétit, Myrrhine!
MYRRHINE, surprise.
Ah! Xantippe!
XANTIPPE.
C'est beau! Me voilà. Je serai votre porte-flambeau! Ah! coquine! Ah!
menteuse! Ah! chienne! Ah! scélérate! Voleuse! Tu venais injurier
Socrate, Et faire ici du bruit pour ton mari perdu!
MYRRHINE.
Je lui disais...
XANTIPPE.
Merci, j'ai très bien entendu, Myrrhine! Tu t'y prends de la belle
manière. Tu venais réclamer ton mouton à crinière, Ton cher Dracès!
Ah! coeurs de femme, êtes-vous laids! Ton mari! C'est très bien le mien
que tu voulais. Mais je comprends: il t'en faut deux, peut-être quatre.
Imitant la voix et la démarche de Myrrhine.
Je viens l'injurier!
Reprenant sur son ton naturel.
Tu parlais de le battre, De faire du tumulte et de tout jeter bas. Ah! par
Hécate! c'est à beaux bras que tu bats! Cette façon de battre est aimable
et gentille, Mais tu vas voir comme on s'y prend dans ma famille!
_Xantippe veut se précipiter sur Myrrhine; mais Socrate arrête sa
femme, la prend dans ses bras et l'y retient captive._
SOCRATE, tenant Xantippe

Tout beau. Là. Calme-toi, ma femme.
XANTIPPE, essayant en vain de se dégager.
Laisse-moi, Toi, philosophe! Il a pour elle de l'effroi! Et, comme c'est
toujours la sagesse qu'il cherche, Il se contenterait très bien de cette
perche. Mais je la veux! Du moins une fois pourra-t-on Voir enfin le
coussin qui battra le bâton!
MYRRHINE, timidement.
Si j'ai baisé le front de Socrate...
XANTIPPE.
Sa bouche En convient. L'impudence est chez elle farouche. Ainsi tu
caressais, pareille au flot amer, Ce front plus dénudé qu'un rocher de la
mer! J'ai très bien vu. Pareille à la nymphe qu'amuse Un faune, tu
baisais cette tête camuse! Railleur, chauve, égarant au ciel ses yeux
errants, Il est à moi. Cela suffit. Tu me le prends! Les paroles de miel
qui tombent de tes lèvres N'excitent pas en lui d'assez ardentes fièvres;
Tu fais en vain sur lui ruisseler tes cheveux, Cela ne suffit pas; alors,
comme tu veux Que le docile Amour accoure sur vos traces, Quand ce
n'est plus assez des discours, tu l'embrasses! Tu riais! Maintenant, belle,
tu vas pleurer, Car je vais te griffer et te défigurer, Et je veux que ton
oeil de colombe se ferme!
Xantippe s'échappe, et va se jeter les poings fermés sur Myrrhine.
MYRRHINE, reculant, épouvantée.
Xantippe! Non! j'ai peur.
Socrate rattrape Xantippe, et de nouveau la retient dans ses bras.
SOCRATE, à Myrrhine.
Ne crains rien. Je tiens ferme.

XANTIPPE, voulant se dégager.
Socrate, laisse-moi! quoi! je ne pourrai pas La mordre!
SOCRATE, tranquillement.
Non.
XANTIPPE.
Ami, laisse-moi faire un pas!
SOCRATE.
Non certes.
XANTIPPE, regardant Myrrhine avec des yeux ardents.
Qu'à mon tour je l'embrasse! Ah! l'indigne, Voyez-la qui se penche,
avec son cou de cygne! Ce cou charmant, je veux le tordre!
SOCRATE.
Écoute-nous,
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