rêvant, Pour lire des mots creux, sous la nue et le vent,
Aux gens de Munychie ou du port de Phalère. Ne faiblis pas. Lorsqu'il
sera bien en colère, Alors, appelle-moi, ma chère, nous rirons! Les
hommes, crois-le bien, seraient moins fanfarons, Si le mors leur
blessait la bouche et la narine. Voilà Socrate. Il vient. Du courage,
Myrrhine. Attaque-le sans peur et d'un front aguerri. Déchire à belles
dents! Mords!
Elle rentre dans la maison.
SCÈNE VI
MYRRHINE, SOCRATE.
MYRRHINE.
Rends-moi mon mari, Socrate!
SOCRATE.
Qui? Dracès?
MYRRHINE.
Oui.
SOCRATE.
Tu l'auras sans doute Égaré par hasard, comme on perd sur sa route Des
pièces de monnaie ou des bijoux de prix? Dis, c'est bien cela?
MYRRHINE, avec colère.
Non. C'est toi qui me l'a pris! C'est toi qu'il suit avec une espérance
folle, Cherchant tes yeux, buvant longuement ta parole, Écoutant tes
discours rusés dont il a faim, Et te suivant au bord de l'Ilissos, afin
D'apprendre la sagesse. Ô démence!
SOCRATE.
Myrrhine, En toi le beau Dracès a la beauté divine, Les cheveux
ruisselants, la lèvre qui fleurit...--
MYRRHINE.
Que va-t-il donc chercher ailleurs!
SOCRATE.
C'est un esprit Qui, par un entretien sérieux ou futile, L'enveloppe à son
gré d'une flamme subtile; C'est la pensée, ainsi qu'un grand aigle irrité
Fuyant vers la justice et vers la vérité. Si tu veux près de toi le retenir, ô
femme! Que ne lui montres-tu ton esprit et ton âme?
MYRRHINE, surprise.
Que dis-tu?
SOCRATE.
Les beaux fruits de pourpre, les raisins Que le soleil mûrit, sur les
coteaux voisins, Les mets bien apprêtés, les figues de l'Attique, Le vin,
qui met en nous la gaité prophétique, Tous ces trésors si chers à
l'homme extasié, Le laissent froid, sitôt qu'il est rassasié, Et, nous
pouvons le voir chez toute créature, C'est l'esprit qui demande alors sa
nourriture.
MYRRHINE.
Mais...
SOCRATE.
Lorsqu'il te prit, vierge en pleine floraison, N'est-ce pas que Dracès
restait à la maison? Du moins on me l'a dit. Faut-il que je le croie?
MYRRHINE.
Certes, il y restait.
SOCRATE.
Sans tristesse?
MYRRHINE.
Avec joie.
SOCRATE.
Eh bien! qu'y faisait-il, Myrrhine?
MYRRHINE.
Il m'admirait. «Ô cheveux plus touffus que l'épaisse forêt, Ors,
pourpres et blancheurs dignes d'une déesse, S'écriait-il, je veux vous
contempler sans cesse, Ô beautés où le ciel mit son divin reflet!»
Socrate, en ce temps-là, c'est ainsi qu'il parlait, Car mon Dracès alors
n'était pas un rebelle.
SOCRATE.
Et que faisais-tu?
MYRRHINE.
Moi? Je tâchais d'être belle.
SOCRATE.
Ah!
MYRRHINE.
Pour lui plaire, afin d'obéir à ses voeux, Longuement je baignais
d'essences mes cheveux, Je me parais de fins tissus qu'un souffle
emporte!
SOCRATE.
Bon. Mais lorsque Dracès t'admirait de la sorte, Après ces longs
moments à tes genoux passés, Que lui disais-tu?
MYRRHINE, ingénûment.
Rien.
SOCRATE.
Rien? Ce n'est pas assez.
MYRRHINE.
Plus tard, lorsque Dracès qui me fuit et m'oublie, Te suivait déjà, plein
de sa triste folie, Souvent il m'a voulu redire tes discours. Je lui disais:
«Ami, les heures et les jours Sont rapides; pourquoi tous ces propos
frivoles? Si tu me trouves belle, à quoi bon des paroles?» N'avais-je pas
raison?
SOCRATE.
Si fait! Peut-être. Mais On peut s'entendre mal en ne parlant jamais. Ô
Myrrhine, dans Cypre, île de fleurs vêtue, On vit un statuaire épris de
sa statue; Mais, par bonheur, Cypris vint à passer par là, Si bien que
Galatée eut une âme et parla. Sans quoi Pygmalion l'eût bien vite
laissée. Ta robe est de couleurs charmantes nuancée; Mais on
épouserait les roses des jardins, Si les roses, pour nous oubliant leurs
dédains, Ouvraient pour nous ravir leurs corolles sacrées, Et nous
parlaient, après qu'on les a respirées! Toi, cependant, qui peux charmer
avec la voix, Ainsi que Philomèle errante au fond des bois, Tu disais:
«À quoi bon? Dracès est un pauvre homme, Robuste, mais naïf. Pourvu
qu'il voie, en somme, Briller mes yeux de flamme aux étoiles pareils,
Et le soleil jouer dans mes cheveux vermeils, Il ne faut rien de plus à ce
coeur qui s'ignore.» Eh bien! il a besoin de quelque chose encore! Ses
yeux, si longtemps clos, sont désireux de voir: Il cherche enfin quelle
est la règle du devoir, À quoi sert notre mort, à quoi sert notre vie; Et
moi, pour endormir sa soif inassouvie, Je lui fais voir, assis à l'immortel
festin, L'homme libre, ouvrier de son libre destin!
Avec une douceur persuasive.
Mais pour guider nos pas dans l'obscur labyrinthe, Qui vaut une Ariane,
avec sa douce plainte?
MYRRHINE.
Je te comprends.
SOCRATE.
Dracès apprit de moi comment Notre âme vers le beau s'élève,
éperdûment, Et se rend la vertu docile et familière. Ô Myrrhine, à ton
tour deviens son écolière! Si buvant longuement aux flots inépuisés, Il
t'enseigna jadis la douceur des baisers, Il t'apprendra le noble orgueil,
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