Socrate et sa femme | Page 4

Théodore de Banville
du bon sens
qui dissipe l'erreur; Comme Athènè, l'éclair, fond la nue et dissipe
L'obscurité!
PRAXIAS, levant sa coupe.
Buvons!
MÉLITTA, de même.
À Socrate!
_Au moment où tous les auditeurs du maître se joignent à Mélitta et
l'acclament avec admiration, entre Xantippe, menaçante et furieuse._

SCÈNE IV
SOCRATE, ANTISTHÈNES, PRAXIAS, EUPOLIS, DRACÈS,
MÉLITTA, BACCHIS, XANTIPPE, Citoyens et Femmes d'Athènes
XANTIPPE.
Et Xantippe! On ne l'invite pas?
ANTISTHÈNES.

Bonne Xantippe, bois Avec nous.
XANTIPPE.
Pourquoi pas avec les loups des bois? Qu'apportez-vous ici? Du blé?
Du vin? De l'huile? Non? Vous n'apportez rien! Prendre est moins
difficile Hors d'ici, fainéants! bavards! Corinthiens!
SOCRATE.
Ma femme!
XANTIPPE.
Hors d'ici!
Jetant à la volée les amphores et les coupes
Tiens, les amphores! Tiens, Les coupes!
Renversant la table.
Tiens!
BACCHIS.
Voici que la table est par terre
XANTIPPE.
C'est ma table. Ce n'est pas moi qu'on fera taire. Courtisanes, et toi,
ridicule artisan, Philosophes, diseurs de rien, allez-vous-en!
MÉLITTA.
Quels cris fougueux!
EUPOLIS.

La Peur voltige sur sa trace.
DRACÈS.
Partons!
PRAXIAS.
Elle a l'aspect riant d'un soldat thrace.
ANTISTHÈNES.
Elle est brave!
BACCHIS.
Elle eut fait merveille à Marathon.
EUPOLIS.
Cependant je comprends le roi Zeus qui, dit-on, Pendit au haut du ciel
environné de brume Sa brave femme, ayant à ses pieds une enclume!
DRACÈS.
Partons vite!
BACCHIS.
Au revoir, Socrate.
PRAXIAS.
Que les Dieux Te gardent!
SOCRATE.
J'offre ici tout ce que j'ai de mieux, Amis! Mon meilleur vin, la vérité
suprême, Je vous les ai donnés de bon coeur, et de même Pour votre

hôtesse, car ici rien n'est changé, Je ne puis vous offrir que la femme
que j'ai! Elle est très bonne au fond, revenez tout à l'heure Comme le
ciel changeant tour à tour rit et pleure, Elle va s'adoucir, les orages sont
courts, Et nous pourrons alors reprendre ce discours. Venez, amis.
XANTIPPE, bousculant et chassant les hôtes de Socrate.
Allez, ses amis! Folle engeance, Hors d'ici! Troupeau fait de vice et
d'indigence, Qui ne dit jamais «Non» quand ce bavard dit «Si»,
Allez-vous-en! Partez! Hors d'ici! Hors d'ici, Honnêtes gens!
_Tous les auditeurs du philosophe sortent, chassés par Xantippe;
Socrate les guide et les accompagne_.

SCÈNE V
XANTIPPE, puis MYRRHINE.
XANTIPPE, consternée.
J'en ai des pleurs sous la paupière. Il ne s'est pas du tout fâché. C'est
une pierre. Ah! j'ai beau faire, et c'est en vain que mon sang bout: Je ne
sais quel effort tenter; je suis à bout D'inventions.
Apercevant Myrrhine.
Quelle est cette femme si belle Qui vient chez nous?
MYRRHINE.
Salut, Xantippe! Je m'appelle Myrrhine, et je veux voir Socrate.
XANTIPPE.
Bien. Tu veux! Mais moi, je ne veux pas. La belle aux blonds cheveux,
Socrate n'est pas là.
Myrrhine veut parler, Xantippe l'arrête.

C'est bon.
MYRRHINE.
Mais...
XANTIPPE.
Par Aglaure! C'en est assez. Ta bouche en fleur, tu peux la clore.
MYRRHINE.
Il faut...
XANTIPPE.
Il ne faut rien du tout. Je te connais, Myrrhine! ainsi que tes pareilles.
Tu venais, Comme les autres, dis, lui verser le mélange De miel et de
nectar, la trompeuse louange! Grand merci. Mon mari n'est pas à
marier.
MYRRHINE.
Flatter Socrate! Moi! je viens l'injurier.
XANTIPPE, tout à coup radoucie.
C'est autre chose.
MYRRHINE.
J'ai la rage en ma poitrine.
XANTIPPE.
Se peut-il! conte-moi cela, bonne Myrrhine. L'injurier! Socrate est là.
Tu le verras.
MYRRHINE.

Grâce à lui, mon mari s'est enfui de mes bras. Oui, mon mari, Dracès
d'Anagyre!
XANTIPPE.
Un bel homme, Je crois?
MYRRHINE.
Beau, patient, travailleur, bâti comme Hercule, et qui naguère, avec des
soins touchants, Savait plaire à sa femme et cultiver ses champs. C'est
de philosophie à présent qu'il s'affame.
XANTIPPE.
Il néglige son champ, j'imagine?
MYRRHINE.
Et sa femme.
XANTIPPE.
Pauvre Myrrhine! Encor si Dracès était laid!
MYRRHINE.
Un jour, il entendit Socrate qui parlait D'immortalité, sous les lauriers
du Céphise. Dans la foule mêlé, Dracès eut l'âme prise.
XANTIPPE.
Comme les autres! Va, nul homme ne vaut rien.
MYRRHINE.
Depuis ce jour, il suit Socrate comme un chien. Dès le matin, sous les
portiques, au Poecile, On peut voir à sa suite errer mon imbécile.
Cependant, l'héritage où sa vigne fleurit, Son verger, son jardin...

XANTIPPE.
Sa femme...
MYRRHINE.
Tout périt. Oui, Dracès, n'est-ce pas que la chose est indigne?
M'abandonne.
XANTIPPE.
Et tu veux qu'il retourne à sa vigne!
MYRRHINE.
Mais je verrai Socrate. On dit qu'il est moqueur, Tant mieux. Je lui dirai
ce que j'ai sur le coeur.
XANTIPPE.
Fort bien.
MYRRHINE.
Il entendra mes plaintes.
XANTIPPE.
À merveille, Ma soeur.
MYRRHINE.
Qu'il n'aille pas faire la sourde oreille! S'il pense que je vais jeûner pour
ses beaux yeux, Je lui montrerai bien qu'il se trompe.
XANTIPPE.
Tant mieux.

MYRRHINE.
Peur des phrases! J'ai mieux que cela, je m'en flatte.
XANTIPPE.
Va, tempête, gémis, crie, accable Socrate! J'y consens, moi qu'il fuit,
discourant et
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