Socrate et sa femme | Page 3

Théodore de Banville
ferai
voir ce que les Dieux ont mis De colère dans ma poitrine!

SCÈNE III
SOCRATE, DRACÈS, ANTISTHÈNES, PRAXIAS, EUPOLIS,
MÉLITTA, BACCHIS, Citoyens et Femmes d'Athènes
SOCRATE, entrant, au milieu d'une foule attentive et respectueuse.
Chers amis, Entrez. C'est bien le moins qu'ici je vous reçoive.
Montrant la table, où un esclave dispose des amphores et des coupes.
Voici du vin vieux; si quelqu'un a soif, qu'il boive, Et si quelqu'un de
vous a soif de vérité, Qu'il écoute. Je parle avec sincérité.
DRACÈS.
Oui, parle-nous, car seul, pendant ces jours funèbres, Tu tiens le clair
flambeau qui luit dans les ténèbres. Qui t'écoute est savant et marche
avec le jour. Pour moi, Dracès, bien vite oubliant tout, l'amour Et mon
champ caressé par la vague marine, Je quitte ma maison et ma chère
Myrrhine, Et je te suis.
SOCRATE, à Dracès.
Vraiment, c'est trop de zèle, ami.

Aux Athéniens.
Cependant, éveillons notre esprit endormi.
À Antisthènes.
Ne demandais-tu pas, tout à l'heure, Antisthènes, Si nous devons porter,
vivants, le deuil d'Athènes?
ANTISTHÈNES.
Que faut-il faire? Par un élan de lion, En vain nous avons pris Égine et
Solion,
EUPOLIS.
Ravagé l'Argolide,
DRACÈS.
Et pour la cause sainte Chassé les ennemis dans les eaux de Zacinthe.
EUPOLIS.
Nous avons eu la guerre hier et nous l'aurons Demain!
ANTISTHÈNES.
Vainqueurs, portant des lauriers sur nos fronts, Archidamos nous prit
dans ses serres hautaines,
DRACÈS.
Et nous avons pu voir la peste dans Athènes!
ANTISTHÈNES.
Donc, le temps est venu d'être austères.

EUPOLIS.
Laissons À d'autres plus heureux les festins,
DRACÈS.
Les chansons,
ANTISTHÈNES.
Les joyaux d'or,
EUPOLIS.
Les arts qui firent notre gloire,
DRACÈS.
Et l'orgueil de tailler des figures d'ivoire.
ANTISTHÈNES.
Et la Lyre!
SOCRATE, avec ironie.
C'est là votre sagesse!
_À Praxias
Et toi, Praxias, que dis-tu?
PRAXIAS.
Je dis que notre loi, C'est d'être des héros ivres de poésie; Donc, ne
renversons pas le vase d'ambroisie Où s'abreuve le pur génie athénien!
Guerriers, songeons à l'art aussi.
SOCRATE.

Tu parles bien, Statuaire! car Sparte à la rude mamelle Rirait de nous,
amis, si nous faisions comme elle; Si vous, Athéniens, l'élégance,
l'esprit, Le bon sens ironique et la grâce qui rit, Poêtes et sculpteurs,
maîtres en toutes choses, Vous dont le chant ailé court dans les
lauriers-roses, Vous lui donniez un jour le plaisir de vous voir Sous des
habits grossiers mangeant le brouet noir! Quel que soit notre sort,
victoires ou défaites, Imposons-lui nos chants, nos modes et nos fêtes;
Toi, Praxias, tes Dieux à la blancheur de lys, Et toi, ta comédie au beau
rire, Eupolis, Et vous, votre parure et vos robes, ô femmes! Car,
puisque par ses dons toujours nous triomphâmes, N'empêchons pas
chez nous la Grâce de fleurir. Rions, et soyons ceux qui veulent bien
mourir. Soyons Athéniens! Si quelqu'un examine Les enfants des héros
qui firent Salamine, Qu'il reconnaisse en nous ces hommes surhumains!
Lorsque l'invasion marchait dans nos chemins, Affreuse, et que les
Dieux eux-mêmes étaient tristes, Qui sut le mieux mourir parmi nous?
Les artistes. Et plus d'un tomba, jeune et l'oeil étincelant, Dont une
Muse avait baisé le front sanglant! Alors que Xercès, fou de sa gloire
emphatique, Jetait des millions de guerriers sur l'Attique, Quand l'Asie
en fureur inondait tous nos champs, Le peintre, le sculpteur, le poète
aux doux chants, Ô Pallas! ont bien su combattre pour ta ville; Et ce fut
un soldat fidèle, cet Eschyle Dont la tombe ne dit qu'un mot, selon ses
voeux, C'est qu'il fut bien connu du Mède aux longs cheveux. Ah!
quand nous marcherons dans les noires mêlées, Songeons dans notre
esprit aux divins propylées, Et représentons-nous les temples radieux
Où Phidias, brillant de gloire, a mis les Dieux. Oui, pour que la victoire,
amis, nous soit aisée, Il faut, cela convient aux enfants de Thésée, Faire
à l'heure présente ainsi qu'auparavant. Car Sophocle est vivant!
Euripide est vivant! Et déjà le laurier d'Eschyle orne leurs têtes. Allons
donc au théâtre apprendre des poètes Comment dans un pays grandi par
les revers Les belles actions renaissent des beaux vers. Soyons tels que
le jour où le trépas rapide Viendra prendre Alcamène ou le jeune
Euripide, On ait assez parlé de ce grand citoyen En écrivant de lui:
C'est un Athénien. Les Dieux, dont la colère agite ma parole, Nous
regardent, baignés d'azur, sur l'Acropole: À l'oeuvre donc, vous tous,
pinceau, lyre, ciseau, Et toi qui fais le fil pourpré, savant fuseau!
Semons le blé, faisons grandir la fleur et l'arbre, Chantons les
demi-dieux géants, taillons le marbre, Et gardons la pensée austère de

nos morts, Car, étant les plus grands, nous serons les plus forts, Et nous
ferons ainsi des conquêtes certaines.
TOUS.
Il a raison. Vive Socrate!
SOCRATE.
Vive Athènes!
Levant sa coupe pleine,
Et maintenant, buvons. Invoquons sans terreur La clarté
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