Socrate et sa femme | Page 7

Théodore de Banville
avec ses cris d'oiseau!
BACCHIS.
Certes, s'il ne te faut qu'une épouse meilleure,
MéLITTA.
Et plus douce,
BACCHIS.
Tu peux la trouver tout à l'heure.
ANTISTHèNES.
Ne pleure pas, de peur de ressembler aux fous, Le mal dont tu guéris à propos.
SOCRATE.
Taisez-vous! Xantippe va sortir de ma maison déserte, Et j'en sens dans mon coeur l'irréparable perte. Car son utile rage était le fouet têtu Dont la rude lanière éveillant ma vertu, Comme l'ane fouaillé par le vieillard Silène, Tenait ma patience et ma farce en haleine. Si quelqu'un me venait verser, dans ma maison, La molle flatterie et son subtil poison, Quand j'avais jusqu'au bout, heureux et fier de vivre, Savouré ce doux miel trompeur qui nous enivre, Ma Xantippe farouche, apre comme la mer, Me guérissait bien vite avec son fiel amer. Souvent, amis, loué par tous, on le devine, J'ai pu me croire issu d'une race divine; Mais son souffle railleur, glissant sur mon front nu, Me disait: ?Tu n'es rien que le premier venu!? S'endormant et mourant dans un repos vulgaire, Notre vertu ressemble à ces coursiers de guerre Qui deviennent oisifs sur le gazon des prés; Et lorsque je rêvais, riant aux cieux pourprés, Oubliant tout, Xantippe accourait dès l'aurore, Et son cri m'éveillait comme un clairon sonore!
PRAXIAS.
Ma?tre! viens avec nous.
ANTISTHèNES.
Libre de tous liens, Pense!
EUPOLIS.
Nous entendrons tes subtils entretiens Sur les grands Dieux et sur l'éternité des choses, Près du clair Ilissos, bordé de lauriers-roses.
BACCHIS.
Et peut-être, au soleil qui t'illuminera, Plus tard, quelque naissant amour devinera L'énigme de ton coeur, mystérieux OEdipe,
MéLITTA.
Et te consolera d'avoir perdu Xantippe.
SOCRATE.
Elle absente, je n'ai plus faim pour d'autres mets. Sa place reste vide.
Avec une douleur violente et na?ve.
Et quelle autre jamais Excellerait comme elle à prodiguer l'insulte? Vivant près de Xantippe au sein du noir tumulte, Je ne craignais plus rien, ni le peuple mouvant, Ni le tonnerre, ni la grêle, ni le vent, Ni le soleil, ni l'apre hiver et la froidure. Sans elle, nul espoir que ma sagesse dure, Car au bruit de sa voix grondant comme un torrent, Je veillais, je disais à toute heure: ?Ignorant, Pense, étudie, apprends! Vil esclave, travaille!?
EUPOLIS.
à ce titre, il n'est pas une autre qui la vaille.
PRAXIAS.
Elle e?t épouvanté l'orage,
ANTISTHèNES.
Et les typhons.
_Xantippe s'éveille sans être vue des assistants, écoute les paroles de son mari, avec étonnement d'abord, puis les boit avidement, et, comme entra?née à mesure qu'il parle, tend les bras vers Socrate. à ce moment, Myrrhine seule est près d'elle._
SOCRATE, suivant sa pensée.
Ainsi, vers la clarté des ab?mes profonds Dans lesquels se répand la vie universelle, Emportant mon esprit et ma force avec elle, Xantippe va s'enfuir, et je la pleure. Mais D'ailleurs pourquoi ne pas le dire? Je l'aimais!
XANTIPPE, à elle-même.
Que dit-il! Cette joie est pour moi la première. Il m'aime!
MYRRHINE, à Xantippe.
Puisqu'enfin tu revois la lumière, Vite, appelons le ma?tre. Il faut le consoler.
Appelant Socrate, qui ne l'entend pas.
Socrate!
XANTIPPE, _mettant sa main sur la bouche de Myrrhine
Ne dis rien. Non, laisse-le parler.
SOCRATE, avec un sentiment profond.
Je l'aimais, car fidèle épouse d'un pauvre homme, Elle vivait pour moi, probe, sobre, économe. Ordonnant la maison, voyant tout par ses yeux, Elle était ma compagne et me chérissait mieux Que ceux dont la douceur louangeuse me flatte. Je l'aimais et je l'aime encore.
XANTIPPE, courant à Socrate.
Cher Socrate! Quoi! Tu m'aimais!
SOCRATE.
Xantippe! Elle, Dieux immortels!
ANTISTHèNES.
L'enfer n'a pas voulu la prendre.
XANTIPPE, ravie, à Socrate.
Après de tels Aveux, comment ne pas rena?tre?
SOCRATE.
Elle! Xantippe! Vivante!
XANTIPPE.
Et corrigée. Oui, l'erreur se dissipe. Je n'avais rien de bon, je semais la terreur Devant moi, je n'étais que rage et que fureur; J'étais folle, cruelle, abominable, indigne, Farouche, noircissant la colombe et le cygne, Plus méchante, en un mot, que le serpent Python. Mais tu m'en puniras, ami.
Elle va prendre un baton et l'apporte à Socrate.
Prends, ce baton. Il ne faiblira pas, il est gros comme quatre.
SOCRATE.
En effet. Mais pourquoi ce baton?
XANTIPPE.
Pour me battre! Oui, tu me battras.
SOCRATE.
Moi! Pourquoi?
XANTIPPE.
Pour chatier Mes colères, mes cris, mes pleurs, mon coeur altier, Ma méchanceté rare et mes fureurs ingrates. Devant tous ces gens-là je veux que tu me battes. Devant tous. Les petits pour voir tendront leurs cous. Vite! Bats-moi. Je veux expirer sous tes coups. Alors que tu m'aimais, je te battais moi-même: à présent, c'est mon tour, puisque c'est moi qui t'aime! Cher mari, tu pleurais, tu palissais d'effroi, Me croyant morte. Allons, pas de pitié. Bats-moi!
SOCRATE.
Non pas.
XANTIPPE.
Mon cher petit Socrate, bats-moi vite!
SOCRATE.
Je ne te battrai pas.
XANTIPPE.
De grace! Je t'invite à me battre!
SOCRATE.
Mais non.
XANTIPPE.
Je t'en supplie.
SOCRATE, paternel.
Allons!
XANTIPPE, lui tendant le baton.
Tiens, ne me soumets pas à des détours si longs! Socrate, bats-moi.
SOCRATE.
Pas du tout.
XANTIPPE.
Je t'en conjure!
SOCRATE.
Hé! Point!
XANTIPPE.
Me refuser serait me faire injure.
SOCRATE.
Mais non.
XANTIPPE, éclatant en pleurs.
Bats-moi!
SOCRATE.
Voilà qu'elle pleure à présent! Tu veux...
XANTIPPE.
Je veux cent coups.
SOCRATE.
Mais...
XANTIPPE.
Fais-moi ce présent. Donne-moi cent coups.
SOCRATE.
Non.
XANTIPPE.
Je n'en puis rien rabattre.
SOCRATE.
Voyons, bonne Xantippe, il faut...
XANTIPPE, frappant du pied. Avec colère.
Il faut me battre!
SOCRATE, levant les yeux
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