Socrate et sa femme | Page 6

Théodore de Banville
bons gros baisers. Xantippe entre à ce même moment et court vers Myrrhine, en proie à la plus violente fureur._
XANTIPPE.
Bon appétit, Myrrhine!
MYRRHINE, surprise.
Ah! Xantippe!
XANTIPPE.
C'est beau! Me voilà. Je serai votre porte-flambeau! Ah! coquine! Ah! menteuse! Ah! chienne! Ah! scélérate! Voleuse! Tu venais injurier Socrate, Et faire ici du bruit pour ton mari perdu!
MYRRHINE.
Je lui disais...
XANTIPPE.
Merci, j'ai très bien entendu, Myrrhine! Tu t'y prends de la belle manière. Tu venais réclamer ton mouton à crinière, Ton cher Dracès! Ah! coeurs de femme, êtes-vous laids! Ton mari! C'est très bien le mien que tu voulais. Mais je comprends: il t'en faut deux, peut-être quatre.
Imitant la voix et la démarche de Myrrhine.
Je viens l'injurier!
Reprenant sur son ton naturel.
Tu parlais de le battre, De faire du tumulte et de tout jeter bas. Ah! par Hécate! c'est à beaux bras que tu bats! Cette fa?on de battre est aimable et gentille, Mais tu vas voir comme on s'y prend dans ma famille!
_Xantippe veut se précipiter sur Myrrhine; mais Socrate arrête sa femme, la prend dans ses bras et l'y retient captive._
SOCRATE, tenant Xantippe
Tout beau. Là. Calme-toi, ma femme.
XANTIPPE, essayant en vain de se dégager.
Laisse-moi, Toi, philosophe! Il a pour elle de l'effroi! Et, comme c'est toujours la sagesse qu'il cherche, Il se contenterait très bien de cette perche. Mais je la veux! Du moins une fois pourra-t-on Voir enfin le coussin qui battra le baton!
MYRRHINE, timidement.
Si j'ai baisé le front de Socrate...
XANTIPPE.
Sa bouche En convient. L'impudence est chez elle farouche. Ainsi tu caressais, pareille au flot amer, Ce front plus dénudé qu'un rocher de la mer! J'ai très bien vu. Pareille à la nymphe qu'amuse Un faune, tu baisais cette tête camuse! Railleur, chauve, égarant au ciel ses yeux errants, Il est à moi. Cela suffit. Tu me le prends! Les paroles de miel qui tombent de tes lèvres N'excitent pas en lui d'assez ardentes fièvres; Tu fais en vain sur lui ruisseler tes cheveux, Cela ne suffit pas; alors, comme tu veux Que le docile Amour accoure sur vos traces, Quand ce n'est plus assez des discours, tu l'embrasses! Tu riais! Maintenant, belle, tu vas pleurer, Car je vais te griffer et te défigurer, Et je veux que ton oeil de colombe se ferme!
Xantippe s'échappe, et va se jeter les poings fermés sur Myrrhine.
MYRRHINE, reculant, épouvantée.
Xantippe! Non! j'ai peur.
Socrate rattrape Xantippe, et de nouveau la retient dans ses bras.
SOCRATE, à Myrrhine.
Ne crains rien. Je tiens ferme.
XANTIPPE, voulant se dégager.
Socrate, laisse-moi! quoi! je ne pourrai pas La mordre!
SOCRATE, tranquillement.
Non.
XANTIPPE.
Ami, laisse-moi faire un pas!
SOCRATE.
Non certes.
XANTIPPE, regardant Myrrhine avec des yeux ardents.
Qu'à mon tour je l'embrasse! Ah! l'indigne, Voyez-la qui se penche, avec son cou de cygne! Ce cou charmant, je veux le tordre!
SOCRATE.
écoute-nous, Xantippe.
XANTIPPE.
Non, je veux la mettre à deux genoux Là, devant moi, plonger mes deux mains dans l'or fauve De cette chevelure, et la rendre plus chauve Que son amant, le beau Socrate!
Exaspérée et faisant un suprême effort.
Allons! pourquoi Me retenir? Je veux...
SOCRATE.
Xantippe, calme-toi.
XANTIPPE, que sa rage étouffe.
Je veux... Je veux... le sang inonde ma poitrine... Et j'étouffe... Je meurs... De l'air!... De l'air!...
Elle tombe sur le lit de repos, pale et inanimée.
SOCRATE, bouleversé.
Myrrhine, Elle pame! De l'eau!
Il s'agenouille aux pieds de Xantippe et tache de la ranimer.
MYRRHINE, apportant un vase d'eau.
Quand ses yeux s'ouvriront, Je lui dirai...
SOCRATE.
Mouillons ses tempes et son front. Vois, la neige envahit son visage immobile. ? Myrrhine, elle meurt.
MYRRHINE.
Pas du tout. Sois tranquille, Socrate. Je suis femme. Elle vit. Je connais Cela.
SOCRATE, penché sur Xantippe.
Xantippe, viens. Ouvre tes yeux. Renais! Vois dans quelle douleur ton silence me jette. Entends-moi! Parle-moi! Non, sa bouche est muette. Dieux! Je succombe. Ayez pitié de mes tourments! Au secours! Dieux!
_Pendant que Socrate a prononcé ces derniers vers, sont entrés Antisthènes, Praxias, Eupolis, Dracès, Mélitta, Bacchis et tous les personnages qu'on a vus à la scène quatrième._

SCèNE VIII
MYRRHINE, SOCRATE, XANTIPPE, ANTISTHèNES, PRAXIAS, EUPOLIS, DRACèS, MéLITTA, BACCHIS, Citoyens et Femmes d'Athènes.
DRACèS, à Socrate.
Pourquoi de tels gémissements?
MYRRHINE, mettant un doigt sur les lèvres
Tais-toi, Dracès.
DRACèS.
Myrrhine ici! Quelle merveille!
ANTISTHèNES, à Socrate.
Pourquoi ces pleurs?
SOCRATE, montrant Xantippe évanouie.
Voyez Xantippe!
PRAXIAS.
Elle sommeille?
SOCRATE.
Elle meurt.
MéLITTA, après avoir regardé Xantippe.
Ne crois pas cela.
BACCHIS, de même.
Bénis les Dieux! Elle vit et respire.
MYRRHINE, à Socrate.
Et tu vas voir ses yeux S'ouvrir à la clarté du ciel.
MéLITTA, à Socrate.
Reprends courage, Ma?tre.
MYRRHINE, aux assistants, sans être entendue de Socrate.
Sa pamoison vient d'un accès de rage. L'évanouissement est réel; cependant, Ne pas s'inquiéter sans mesure est prudent.
SOCRATE.
Secourez-la!
BACCHIS, riant, à Mélitta
Cédons à son désir frivole.
SOCRATE.
Je tremble que son ame errante ne s'envole.
_Les femmes entourent Xantippe, mais sans montrer une réelle inquiétude. Socrate va se joindre à elles, lorsque Eupolis l'arrête et lui barre le passage._
EUPOLIS, d'un ton railleur.
Et voilà tout?
DRACèS.
C'est pour cela que tu gémis?
PRAXIAS.
Quoi donc! C'est pour cela qu'il pleure!
ANTISTHèNES.
? mes amis, Pour une femme folle,
DRACèS.
Acariatre,
EUPOLIS.
Injuste,
ANTISTHèNES.
Sombre,
PRAXIAS.
D'un entretien haineux,
ANTISTHèNES.
D'un esprit fruste,
DRACèS.
Amère,
EUPOLIS.
Qui le fait ployer comme un roseau,
PRAXIAS.
Et qui toujours fait rage
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