Sixtine | Page 4

Remy de Gourmont
priv�� de la jeune femme qui l'intriguait �� l'extr��me, le chateau lui parut d'une viduit�� fun��bre.
Il n'ex��cuta m��me pas son projet d'aller visiter la trappe de Mortagne, reprit le train o�� il l'avait laiss��, rentra �� Paris, un soir, dans un ��tat de r��elle satisfaction.
Paris, ce n'��tait pour lui, ni la rue, ni le boulevard, ni le th��atre; Paris, pour Entragues, ��tait confin�� dans les bornes assez ��troites du ?cabinet d'��tude?, peupl�� des bons fant?mes de son imagination. L��, s'agitaient obscur��ment des ��tres tristes et vagues, pensifs et informes, qui imploraient l'existence. Entragues vivait avec eux dans une familiarit�� presque inqui��tante. Il les voyait, les entendait, se transportait avec eux dans le milieu n��cessaire �� leur activit��, bref subissait les ph��nom��nes les plus aigus de l'hallucination.
C'est ainsi que d��s le lendemain de son retour, Mme du Boys vint l'occuper de ses aventures. Il s'agissait de la r��concilier d'une fa?on logique avec son mari qu'elle avait abandonn�� pour suivre �� Gen��ve, un comte polonais, retir�� l�� apr��s des aventures nihilistes. Art��mise du Boys: elle orthographiait ainsi son nom depuis sa fugue adult��re, pendant que son mari, secr��taire-caissier de l'Union de la Bonne-Science, le simple M. Dubois, pleurait l'irr��parable malheur.
Il g��missait et Mme du Boys s'ennuyait, excellente occasion pour renouer les fils et mettre en pratique quelques versets de l'��vangile. Irr��parable? Et le pardon? L'une ��tait au point de consentir �� le demander, l'autre attendait qu'on lui for?at la main.
?Ah! Madame du Boys, songeait Entragues, en consid��rant sa visiteuse, vous ne connaissez pas votre mari! ��crivez-lui. Dites seulement: ?Je fus une alouette entre toutes les femmes, le miroir me tenta!? R��p��tez cette id��e simple tout le long de quatre belles pages d'une petite ��criture pench��e, trembl��e, mouill��e de larmes (oh! de vraies larmes, de larmes scientifiques, acidul��es et dos��es des sels voulus de l'amertume),--fais cela, ? mon amour, et tu verras!?
Sans attendre la r��ponse, et pendant que Mme du Boys m��ditait, modeste et tr��s convenable p��cheresse, Entragues alla r��conforter le secr��taire de la Bonne-Science. Bureau simple et assez propre: des journaux, des brochures, des registres: liste g��n��rale des membres fondateurs, protecteurs, donateurs, r��sidents, ��trangers, honoraires, cat��gories pes��es au poids du pr��alable versement; sommes vers��es, sommes dues et diff��rentes rubriques.
?Vous ��tes triste? Oui, vie bris��e: mais, mon cher Monsieur Dubois, toutes les vies sont bris��es, comme bris��s tous les batons plong��s dans l'eau: l'existence fausse les ames, nous ne sommes pas faits pour la vie: une tromperie nous la donne, une duperie nous la conserve. Ah! la philosophie n'est pas votre fort, je le sais: ni fondateur, ni protecteur, ni rien, mais secr��taire appoint��. Si vous n'��tes point philosophe, pourquoi avez-vous ��pous�� une jolie femme, comme Mme du Boys? Un philosophe seul se peut autoriser de telles imprudences, parce que, le moment venu, il sait faire abstraction. Les chiffres vous ont enseign�� d'autres devoirs; tout compte dans une page de registre et l'absence s'appelle m��moire. La pure v��rit��, d��voil��e de tout symbole, c'est que vous l'aimez encore? En chr��tien, non pas en lache ajuponn�� �� des habitudes. Soit: vous avez la charge de cette ame faible, et vous devez, comme le Bon Pasteur, la porter sur vos ��paules et la garer du lion d��vorant? Mais, puisqu'elle a perdu sa voie, que ne courez-vous apr��s? De l'orgueil vous encha?ne �� vos registres; vous croyez ��tre chr��tien, vous n'��tes que sto?que. Monsieur Dubois, les modernes Bons Pasteurs usent, sans honte, des chemins de fer et des t��l��graphes: partez! Ah! les donateurs? Eh bien, t��l��graphiez! Non, il faut, au moins, que la scabieuse brebis fasse la moiti�� de la route, que la p��cheresse se madeleinise et pleure. Allons, je vous l'enverrai. Ainsi, votre femme vous a quitt�� pour suivre son plaisir; elle revient un peu tremblante, mais confiante et vous lui pardonnerez? Vous lui ouvrirez votre porte, vos bras, votre lit? Dans le d��compte des jours pass��s, aux jours de maritale solitude, vous ��crirez: M��moire c'est-��-dire, un cette fois, oubli? Le premier repas pris ensemble sera repas de f��te, et la premi��re nuit dormie, une nuit de plaisance? Vous ferez tout cela, Monsieur Dubois, parce que vous ��tes chr��tien et non sto?que: je vous avais calomni��. Me raconterez-vous l'entrevue du tr��s noble pardon, tout bas, pour ma personnelle ��dification, et la pourrai-je raconter, tout haut, pour l'��dification du si��cle??
Revenu de ces songeries, Entragues, pour se distraire, recopia �� l'encre, des feuilles de carnet crayonn��es en chemin de fer, ou le soir, dans son lit, ou le matin, dans la solitude des avenues.

III.--NOTES DE VOYAGE
RAI-AUBE
?Et quand tu seras ainsi form��, quand tu seras p��n��tr�� de cette v��rit��: ?Il n'y a de vrai, de vraiment existant pour toi que ce qui rend ton esprit f��cond?, alors observe le cours g��n��ral du monde, et, le laissant suivre sa route, associe-toi �� la minorit��.?
GOETHE, Po��sies: Testament, VI.
Dreux.--Voir passer les train,--voir
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