Sixtine | Page 3

Remy de Gourmont
succ��s! Est-ce que le pommier mendie des applaudissements pour avoir bien fleuri, d'abord, enfin bien fructifi��? On en ferait de quasi ��vang��liques paraboles. Si je ne suis pas mon propre juge, qui me jugera, et si je me d��plais �� moi-m��me que m'importe de plaire �� autrui? Quel autrui? Y a-t-il un monde de vie ext��rieure �� moi-m��me? C'est possible, mais je ne le connais pas. Le monde, c'est moi, il me doit l'existence, je l'ai cr���� avec mes sens, il est mon esclave et nul sur lui n'a de pouvoir. Si nous ��tions bien assur��s de ceci, qu'il n'est rien en dehors de nous, comme la gu��rison de nos vanit��s serait prompte, comme promptement nos plaisirs en seraient purg��s. La vanit�� est le lien fictif qui nous annexe �� une ext��riorit�� imaginaire: un petit effort le brise et nous sommes libres! Libres, mais seuls, seuls, dans l'effroyable solitude o�� nous naissons, o�� nous vivons, o�� nous mourrons.
--Quelle triste philosophie, mais quel orgueil!
--Elle contient moins d'orgueil que de tristesse, et j'en donnerais bien l'arrogance pour n'en pas sentir l'amertume.
--Qui vous a induit-l��? interrogea-t-elle, int��ress��e par ces choses qui semblaient assez neuves pour son esprit.
--Mais c'est naturel, comment concevoir une vie diff��rente de ce qu'elle appara?t clairement �� tout oeil qui sait regarder? Oui, peut-��tre qu'une certaine illusion est possible... C'est bien dommage sans doute, bien dommage pour moi, que je ne vous ai pas rencontr��e plus t?t, des ann��es plus t?t. Je vous aurais aim��e et alors...
--Qu'en serait-il advenu pour votre destin��e?
--Vous m'auriez tromp�� sur la valeur de la vie, madame, continua Hubert avec un lyrisme qui avoisinait le persiflage: j'aurais bu, comme une absinthe ��ternelle, la fluide illusion de vos yeux glauques et je me serais encha?n�� �� la vie par la cha?ne dor��e de vos cheveux blonds.
Elle se voila d'une indiff��rence brod��e d'ironie l��g��rement, et, se croyant �� l'abri d'un trop inquisiteur regard, r��pondit avec ing��nuit��:
--Il y a des ann��es, en effet, seulement trois, j'avais vingt-sept ans; c'est aujourd'hui la trentaine ou bien pr��s.
Il la consid��ra, sans insolence, de la t��te aux pieds:
--Cette franchise! Mais vous ne devez pas mentir.
Ses yeux ��taient remont��s �� la taille, ��largie un peu, jugeait-il.
--Oui, l'esth��tique, n'est-ce pas? hasarda Sixtine, en levant n��gligemment les bras pour rattacher quelque ��pingle �� sa coiffure.
Le geste ��tait joli et favorable �� l'amincissement du buste.
Il r��pondit avec mesure:
--L'esth��tique? Oh! non. Elle semble bonne et sans trahisons.
Un sourire, vite ��teint, attesta le contentement de la femme et ce fut la floraison de la plus f��minine des vieilles perversit��s humaines. Elle dit, d'une voix lente, d��sabus��e:
--Me vouloir aimer, c'est du temps perdu.
--Voyez, reprit Hubert, vous soufflez sur les bulles et ma seule et derni��re chance d'illusion s'��vanouit, car en mettant mes d��sirs au pass�� je construisais en secret un pont volant vers le pr��sent. Ah! madame, voil�� de la cruaut�� transcendante.
Elle eut conscience d'avoir pris un mauvais petit chemin de traverse et de s'y ��tre embourb��e.
Ils ne parlaient plus.
L'ombre se propageait en ondes l��g��res. Nerveuse un peu, Sixtine marcha vers la lumi��re d'une clairi��re voisine, au bas de l'avenue.
L��, des ch��nes et des h��tres, le feuillage ��clairci d��j��, se groupaient en une ��troite futaie.
Le vent passa, remuant les feuilles s��ches.
Une branche basse et lourde plia avec le bruit d'un large froissis d'��toffes.
Une feuille, comme une goutte de pluie, des feuilles tomb��rent en un lent bruissement.
--Elles me suivent! Elles me poursuivent! criait-elle, prise dans le tourbillon qu'elle fuyait en vain.
Et emport��e, de m��me qu'une feuille, au vol circulaire des feuilles, elle revint ��gar��e et haletante pr��s d'Entragues, criant toujours:
--Elles me poursuivent, les feuilles, les feuilles mortes!
--Qu'y a-t-il donc? demanda Hubert �� son tour, surpris d'une si ��trange crise.
Froidement il ajouta, pendant que, tremblante encore, elle saisissait son bras et s'y appuyait, affol��e:
--Vous n'avez pourtant pas de crime dans votre vie?
Cette ironique interrogation, comme une br?lure �� la pierre, changea la nature de la fi��vre:
--Peut-��tre! r��pondit-elle, soudain palie.
--Alors, vous devenez tout �� fait int��ressante.
Relever cette impertinence ��tait au-dessus de ses forces. Avec un tremblement de tous les petits muscles, et sans savoir pourquoi, elle essayait de se d��ganter. Quand une de ses mains fut libre, elle la secoua, l'agita, en fit craquer les jointures.
--Permettez, continua Entragues, qui s'amusait m��chamment �� faire vibrer l'instrument d��saccord��, pas de tache au petit doigt?
--Non, ce fut le poison.
Cela sortit de ses l��vres avec le calme d'un aveu m��dit��. Les yeux sinc��rement troubl��s, Hubert regardait le monstre qui se d��gagea, s'enfuit, jetant, en adieu, ces seuls mots:
--Je pars demain, venez me voir!

II.--MADAME DU BOYS
?...Quid agunt in corpore casto Cerussa et minium, centumque venena colorum? Mentis honor morumque decus sunt vincula sancti Conjugii...?
CLAUDIUS MARIUS VICTOR, De perversis su? ?tatis Moribus.
Peu de jours apr��s Sixtine, Hubert avait quitt�� Rabodanges. Le vert ��ternel des pr��s pleins de boeufs �� la longue le contristait et, malgr�� l'ing��niosit�� de la comtesse,
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