les coiffes
enrubannées de rouge qui l'avaient obligé de se disculper de cette
mésalliance:
--Elle a apporté deux cent mille francs.
--Dame! Si elle vaut ça, mon gars. Mais elle aime pas le travail, sûr!
M. Gosselet mit sa redingote, vite, puis courbé devant la cheminée, sur
un cadre de peluche fanée, il examina avec soin une photographie
déteinte qui représentait une large paysanne coiffée d'un bonnet à
coquilles et revêtue d'une robe noire évasée en cloche. Les mains
énormes étreignaient le ventre. La face émergeait, molle, de rubans
fanfreluchés. Menton, joues et nez étaient dessinés par quatre ou cinq
grandes lignes convergeant vers la bouche amincie, usée. Sous des
sourcils à peine teintés, de petits yeux gris brillaient en un réseau de
rides.
--Pauvre mère Jeanneton! Pauvre mère Jeanneton! murmurait le
marchand de poupées, tu étais une vraie Gosselet, toi. Fille de mon
grand-père Gosselet, tu épousas mon père, Henri Gosselet. Si Simone
te ressemble, c'est l'autre, la Parisienne qui est coupable. Ah! l'autre, la
Parisienne!
Et il fit un geste de menace qui parut amener un sourire approbateur sur
les lèvres fines de mère Jeanneton.
Quelqu'un heurta à la porte de la chambre, puis une voix:
--Il y a déjà un bon quart d'heure que madame attend monsieur, un bon
quart d'heure!
--J'y vais, Jenny.
Jenny, la femme de chambre de madame, s'éloigna à petits pas... Jenny!
encore une invention de la Parisienne. Pourquoi pas Eugénie? Oui,
mais Eugénie, trop commun, Jenny, genre anglais!
Très raide dans sa redingote mise à la diable, le col relevé, Jean-Marie
Gosselet fit son entrée dans la salle à manger.
Résolu à observer sa femme et sa fille sans faire montre de son
inquiétude, il dit d'un ton doucereux:
--Me voilà, ma toute bonne, me voilà!
Puis, après avoir plaqué un baiser sur le front de Simone, il se laissa
tomber sur une chaise Henri II, dont le haut dossier sculpté en bosses
rendait plus laborieuses ses digestions, mais qui faisait bien quand il y
avait quelqu'un à dîner.
--Il ne fallait pas m'attendre, ma toute bonne, dit M. Gosselet après
avoir palpé ses manchettes comme pour les retrousser: ancienne
habitude de bon ouvrier qui va se mettre à la besogne.
--On ne vous a pas attendu, mon cher!
Épluchant un radis, Mme Gosselet ne daigna pas lever les yeux sur son
mari.
Ma toute bonne, mon cher, c'étaient là des expressions employées
autrefois par M. et Mme Gosselet pour cacher aux yeux de Simone,
petite fille, les dissentiments qui obligeaient les époux à faire chambre
à part. Par habitude, ils se servaient toujours des mêmes locutions
pot-au-feu, mais avec des intonations de voix variables qui avaient
surpris Simone grandissante.
Après avoir manoeuvré son couteau autour du radis avec l'habileté d'un
chirurgien qui circonscrit un kyste du bout de son scalpel, Mme
Gosselet voulut jouir de la grimace que sa réponse impertinente avait
dû faire naître sur la face du marchand de poupées. Brusquement, les
bras tendus comme pour repousser une horrible vision, elle laissa choir
son couteau sur son assiette, puis avec une moue et un tapotement de
main impatient sur la nappe:
--Habillez-vous, monsieur... Pour les domestiques au moins!
M. Gosselet promena ses doigts tâtonnants sur son gilet, son faux-col,
puis sur le collet de sa redingote qu'il baissa tranquillement:
--Ce n'est que ça, ma toute bonne! Jenny est à la cuisine, je ne puis
l'offenser.
--Mais, mon cher, il me semble:--puis d'une voix clairette pour mieux
glisser sa méchanceté,--il me semble que vous avez beaucoup à faire
pour ne pas être ridicule, même la tenue aidant.
Et elle le lorgna comme il avait lorgné le portrait de mère Jeanneton.
Il n'était pas beau, M. Gosselet, mais sur les routes d'Auvergne, il aurait
pu figurer le roulier faraud qui taquine les filles d'auberge. Le visage
large rasé, les mâchoires fortes, des muscles saillants sur les joues,
semblant appliqués à la main, le front poli et bombé, il portait au dessus
de son col haut un entourage de barbe grise qui se tenait raide, serrée
entre le menton à fossettes et le linge durci par l'empois. Les cheveux
coupés ras, blancs et noirs, dessinaient toutes les courbures du crâne
plus large que haut.
De rouge qu'il était autrefois, le teint de M. Gosselet était devenu
presque blanc, mais d'un blanc strié de petites raies roses qui
historiaient l'épiderme de losanges, de carrés, de mille figures
microscopiques. Ses yeux gris gitaient en un fouillis de cils incurvés
comme des ronces.
Large d'épaules, le cou très court, M. Gosselet portait la redingote de
telle sorte qu'elle semblait lui être toujours trop étroite ou trop large.
Quand il marchait, traînant la jambe, les bras lancés en un mouvement
rythmé de balanciers, les yeux l'habillaient instinctivement d'une blouse
bleue et le coiffaient d'une casquette de soie.
Mme
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