Simone | Page 8

Victor Tissot
rire, rien que mes yeux... du gris dans du gris.
Puis, apr��s avoir bais�� au front papa Jean-Marie, elle reprit sa lecture, le cou empourpr�� d'une rougeur. Mais M. Gosselet, tout �� son interrogatoire, continua:
--J'esp��re que tu es contente de cette bonne odeur de lilas dans le parc.
--Les lilas fleuris! Oh! oui, p��re!
Elle dit cela d'une voix si ��mue, les yeux tourn��s vers la fen��tre, les yeux mouill��s, plaqu��s de clart��s blanches comme des gouttes de lait, que le fabricant de poup��es devenu soup?onneux, oubliant qu'elle ��tait une Gosselet, ajouta imprudemment:
--Tu aimerais �� te promener sous leur feuillage, au clair de lune?
--Pourquoi cette question, papa Jean-Marie?
--Pourquoi! Pourquoi!... pour savoir.
Elle fit: ?Ah!? indiff��rente, puis tourna plusieurs feuillets du gros livre comme pour t��moigner qu'elle ne voulait pas ��tre distraite de son ��tude physiologique.
Jenny, la femme de chambre, venant de quitter la salle �� manger, M. Gosselet continua:
--Quelle gentille petite femme tu feras, Simone! Ah! l'heureux diable qui...
Abandonnant l'Anatomie, Simone s'enfuit en des battements de jupe effarouch��s, le visage pourpre, les mains maladroites �� tourner le bouton de la porte.
Mme Gosselet prit une attitude d��sesp��r��e:
--Mon cher, vous n'avez jamais rien compris aux femmes.
--Cependant, ma toute bonne, Simonette est en age de se marier. Elle a dix-neuf ans.
--Mais c'est pr��cis��ment... Que je serais confuse si nous avions des invit��s! Car, mon cher, m��me dans ces occasions-l��, vous ��tes d'un sans-fa?on! Mardi dernier, vous nous avez cont�� une histoire de pruneaux d'un go?t douteux.
--Oui, ma toute bonne, le jour o�� vous nous avez amen�� ce petit Sivitgloff... un ing��nieur russe, je crois... qui a des esp��rances... une tante au Caucase.
--Je vous l'ai pr��sent�� comme un parti sortable. Il a de bonnes relations dans la diplomatie... Vous n'avez pas voulu me laisser plaider sa cause: cela me suffit! Mariez votre fille, mariez-la au premier coffre-fort venu!
--Je sais ce que vaut l'argent. L'alliance russe ne s'escompte qu'en politique.
--Pas de sottes plaisanteries. Ce jeune homme est charmant, d'un blond distingu��: une femme serait heureuse de se montrer �� son bras. La fille sera tout aussi heureuse que la m��re, je le pr��vois.
Dignement, �� pas compt��s, Mme Gosselet, n��e Elvire Decambe, quitta la salle �� manger, battant en retraite devant le cigare que venait d'allumer le fabricant de poup��es.
--Ma femme devenue sentimentale, voil�� qui m'expliquera, peut-��tre, les traces de pas, pensa M. Gosselet; puis il se leva, poussant un gros soupir d'homme chagrin qui a beaucoup mang��. Les affaires de coeur ne devaient pas lui faire oublier les affaires s��rieuses. Il devait cr��er l'outillage n��cessaire �� la fabrication du syst��me oculaire. L'honneur de la maison voulait qu'il f?t pr��t �� livrer les commandes au jour fix��.
Comme il descendait les marches du perron, il aper?ut sous les acacias une forme blanche balanc��e comme en une escarpolette sous un portique de gymnastique.
Il approcha, souriant, puis tapant ses grosses mains l'une contre l'autre avec la furie d'un ma?tre de claque, il cria:
--Bravo, Momone!
Mlle Simone, suspendue par les jarrets �� un trap��ze lanc�� �� toute vol��e, venait, d'un saut p��rilleux, de se laisser choir sur un amas de sciure de bois.
Debout maintenant, la taille serr��e dans une tunique de flanelle blanche, les jambes dessin��es en un pantalon bouffant de m��me ��toffe, gant��e haut de peau de chien, son toupet de clown ��bouriff��, Simone ��tait d'une robustesse d��licieuse.
Elle s'approcha du fabricant de poup��es, joyeusement essouffl��e:
--C'est la premi��re fois que je le r��ussis, p��re. Imaginez-vous que j'avais peur.
Embrassant le front moite de sueur de la petite gymnasiarque, M. Gosselet oublia ses soup?ons.
Restait l'autre, la Parisienne!

III
Dix heures du soir!
M. Gosselet se promenait dans son parc aux portes closes.
Coiff�� d'un chapeau �� bords larges, chauss�� de feutre, ?v��tu de nuit?, le digne fabricant de poup��es ��vitant les all��es blanchies par la lune, gagnant les bosquets avec les pr��cautions d'un matou en bonne fortune, ressemblait �� un d��valiseur de villas. 2928 Le costume de M. Gosselet ��tait un peu th��atral--il y a dans tout homme grave un cabotin qui sommeille--et il ��tait ��vident que le fabricant de poup��es ne rimait pas de sonnet aux petites veilleuses, les ��toiles, tant il jouait bien son r?le de conspirateur. Drap�� dans son manteau, il tenait �� la main une arme aux reflets m��talliques qui ��tait tout bonnement un chronom��tre.
M. Gosselet attendait l'arriv��e de deux autres personnages, il ne savait lesquels, qui devaient jouer les amoureux et causer de leurs affaires de coeur sous les lilas.
Comme d��cor: la grande chemin��e d'usine, le petit pavillon d'un blanc pale et les massifs ��clair��s �� la lumi��re ��lectrique par la lune.
Minuit, et les amoureux n'arrivaient pas. Or, en l'esprit de M. Gosselet minuit devait ��tre l'heure du crime! Au th��atre et dans les romans douze coups ne peuvent tinter �� une horloge sans que les ��p��es sortent de leurs fourreaux, sans que les l��vres roses s'unissent aux l��vres moustachues.
Minuit!
La sc��ne ��tait d��licieusement embaum��e de senteurs
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