je sois mort.
En disant ces mots, voyant que l'aide d'Ulric allait lui faire défaut,
l'Anglais chassa d'un coup de pied le tronc d'arbre qui l'attachait encore
à la terre et se trouva suspendu.
L'agonie commença sur-le-champ. Ulric ne put assister de sang froid à
cet horrible spectacle, et se sauva dans un champ voisin.
Au bout d'une demi-heure il revint près de l'arbre changé en gibet, et
trouva l'Anglais roide, immobile, parfaitement mort. Cette vue donna à
penser à mon jeune ami. Il trouva la mort fort laide, et renonça
soudainement à aller lui demander la consolation des maux que lui
faisait souffrir la vie. Seulement il se trouvait dans une situation fort
embarrassée; car il avait écrit la veille à un de ses amis qu'il avait mis
fin à ses jours, et il considérait comme une lâcheté un retour sur cette
résolution. Il s'effrayait du ridicule qui allait rejaillir sur lui quand on
apprendrait ce suicide avorté, chose aussi pitoyable à ses yeux qu'un
duel sans résultat.
Il en était là de ses hésitations quand il aperçut à terre le portefeuille de
l'Anglais pendu. Ulric l'ouvrit et y trouva une foule de papiers, et entre
autres un passeport d'une date récente et pris au nom de sir Arthur
Sydney. Ces papiers étaient ceux du défunt; et ce nom d'Arthur était
également le sien; et voici l'idée qui vint à l'esprit d'Ulric: il prit son
portefeuille, qui contenait les papiers attestant son identité à lui, et les
glissa dans le portefeuille du mort, après en avoir retiré le passeport et
les autres papiers, qu'il mit dans sa poche.
Grâce à ce stratagème, Ulric passa pour mort. Son suicide, annoncé par
les feuilles anglaises, fut répété par les journaux français. Ulric assista à
son convoi funèbre; et après s'être rendu lui-même les derniers
honneurs, il partit pour le Mexique sous le nom de sir Arthur Sydney.
Revenu à Londres il y a environ six semaines, il m'écrivait les détails
que je viens de vous raconter.
--Tout cela est, en vérité, très merveilleux, dit Chabannes; mais si M.
Ulric de Rouvres revient à Paris, sa position y sera au moins singulière.
Sous quel nom prétend-il exister maintenant? Reprendra-t-il le sien, ou
conservera-t-il celui de Sydney?
--Je crois qu'il prendra un autre nom, répondit Tristan.
--Mais, fit observer M. de Chabannes, ce sera inutile. Il ne tardera pas à
être reconnu dans le monde.
--Il n'ira pas dans le monde, dit Tristan; je veux dire par là qu'il ne
fréquentera pas cette partie de la société parisienne qu'on appelle le
monde.
--Il aura tort, fit le comte de Puyrassieux. Dans les premiers jours son
aventure pourra lui attirer quelques regards, on chuchotera peut-être sur
son passage; mais au bout d'une semaine on n'y pensera pas, et on
parlera d'autre chose. Sa position sera au contraire fort avantageuse.
Toutes les femmes vont se l'arracher.
--Ulric ne retournera plus dans le monde, messieurs, dit Tristan.
--Mais pourquoi? demandèrent les jeunes gens.
--Pourquoi? dit tout à coup l'indifférente Fanny, en chassant du bout de
ses doigts effilés les boucles de cheveux qui semblaient par instant faire
à son visage un voile tramé de fils d'or:--Pourquoi? C'est bien simple.
M. Ulric ne peut plus reparaître dans le monde, parce qu'il est ruiné.
--Ruiné! dirent les jeunes gens.
--Nécessairement, continua Fanny. Il n'est pas mort, c'est vrai; mais on
l'a cru tel pendant six mois. Il y a eu un acte de décès; et comme M.
Ulric de Rouvres n'avait d'autre parent que son oncle, le chevalier de
Neuil, toute la fortune de son neveu a dû retourner entre les mains de
celui-ci.
--Eh bien, dit M. de Puyrassieux, l'oncle fera une restitution d'héritage.
--Il ne le pourra plus, continua la blonde Fanny avec la même
tranquillité. À l'heure où nous sommes, M. le chevalier de Neuil est
aussi pauvre que les vieillards qui sont aux Petits-Ménages.
--Ah! la bonne plaisanterie, dit M. de Chabannes; mais songez donc,
ma belle enfant, que ce vieillard, qui aurait remontré des ruses à tous
les avares de la comédie classique, avait en main propre au moins vingt
mille livres de rente; et si, comme on peut le supposer, il a hérité de son
neveu, celui-ci ayant cinquante mille livres de rente, M. de Neuil, qui
joue la bouillotte à un liard la carre, et qui est plus mal vêtu que son
portier, est actuellement plus que millionnaire.
--J'ai dit ce que j'ai dit, répéta Fanny. M. le chevalier de Neuil n'a plus
le sou.
--Ah çà! mais il avait donc un vice secret, ce vieillard? demanda
Chabannes.
--Il était l'ami de madame de Villerey, répondit Fanny; et, puisque vous
paraissez l'ignorer, messieurs, je vous dirai que madame de Villerey
avait pour habitude d'imposer à ses favoris l'obligation d'être les clients
de son
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