Sainte-Marie-des-Fleurs | Page 8

René Boylesve
��loignement de Venise, o�� ces dames devaient demeurer une semaine encore. Je ne pus pas d��passer V��rone, et je luttai contre moi une journ��e enti��re pour ne pas retourner �� Venise.
Je me rappelle l'affreux d��chirement de ce d��part o�� j'ai aper?u, dans le brouillard du matin qui s'enlevait, Venise s'��veiller au soleil, d'une couleur de chair, pareille �� l'��tirement d'un beau bras. Je crus encore une fois que c'��tait cette ville qui m'��mouvait! Mais, �� la regarder de loin, merveilleuse, v��ritable V��nus soulev��e de la mer, je me rendis bien compte que ce n'��tait pas Venise que je voyais et que ce n'��tait pas m��me de la beaut�� qui me touchait.
Il y a, �� V��rone, des jardins �� l'italienne o�� l'on monte par un ��chelonnement de terrasses. J'y passai l'apr��s-midi dans une terrible perplexit��. D'en haut, je d��couvrais une all��e de noirs cypr��s aigus, pareils �� de grands glaives endeuill��s, et, sur les murailles, des vignes vierges qui saignaient comme des viandes d��chir��es. Tout cet or rutilant d'automne et le brasier superbe de la vieille ville rousse ��tendue �� mes pieds sous le soleil ardent, me parlaient trop violemment de la guerre qui ��tait allum��e en moi. Je fus effray�� de ce que j'��tais devenu en si peu de jours. Il fallait partir, oublier. Je descendis d?ner au buffet lamentable de la gare de V��rone. J'��tais le seul voyageur. On alluma pour moi deux becs de gaz qui se mirent �� clignoter dans la salle immense. Des gar?ons r?daient inoccup��s. Des chauves-souris passaient et repassaient autour de la lumi��re. L'horloge sonna huit heures et je pensai qu'�� ce moment on chantait l��-bas, sur le Grand-Canal, et que la gondole qui portait la petite fianc��e de M. Arrigand, l'industriel de Chicago, glissait comme sur une huile douce.
Je pris le train de Paris.
* * * * *
De Milan, o�� je fis encore une halte de lachet��, j'avais envoy�� une d��p��che �� ma bonne cousine de la Juli��re pour l'avertir que je descendais chez elle. Elle ��tait accoutum��e �� diverses excentricit��s de ma part et ne se montra point trop ��tonn��e de cette fantaisie.
A dire vrai, je ne pouvais plus rester seul. J'��tais certain que la vue de mon int��rieur de gar?on me serait intol��rable. Je pressentais que tous mes objets familiers, tous ces petits moi-m��me ��pars sur les tables, les murs et les ��tag��res, s'impr��gneraient aussit?t de l'image nouvelle que je portais et me la renverraient avec une trop cruelle intensit��. J'ai peur de la souffrance qui vient, de celle de tout �� l'heure et de demain. Je m'enfonce et me retourne au contraire avec une rage presque amoureuse dans la douleur actuelle, dans celle qui m'��treint tout de suite.
Je voulais, d'autre part, ��viter mes amis. Les plus d��licats deviennent grossiers vis-��-vis d'un coeur ��branl��. Il n'y a pire que l'ami pour inventer le mot qui vous blessera �� fond sur le chapitre de l'amour. Ressentent-ils de notre passion naissante une secr��te jalousie? Leur petit coup de stylet n'est-il que l'instinctive d��fense contre la rivalit�� que nous venons leur avouer si gauchement?
Ils voient au point ce que nous n'apercevons qu'au travers de notre exaltation. Une parole juste nous semble d'un ton si bas que nous la taxons de froideur et facilement d'impertinence.
Rien ne valait, pour un souffreteux de mon esp��ce, le voisinage d'une femme tendre et commen?ant �� prendre de l'age.
Ma bonne cousine de la Juli��re ��tait un refuge mieux que maternel. Une quinzaine d'ann��es seulement nous s��paraient, et elle avait perdu de la jeunesse juste ce qu'il fallait pour qu'une femme gardat un parfum aimable et non troublant. Je n'avais pas avec elle cette familiarit�� qui l'e?t autoris��e �� m'interroger au del�� de ce que je manifestais avoir envie de lui dire, ni pr��cis��ment le respect qui m'eut retenu de lui faire telles confidences dont le go?t m'aurait pu pousser.
Mais sa maison m'��tait d'un secours presque aussi grand. Les objets y ��taient d'un go?t si m��diocre que je ne pus jamais, dans leur entourage, tenir fermement mon s��rieux. Ils ne me faisaient souvenir que des figures solennelles que j'aper?us une fois autour de la table du conseil municipal dans une petite ville de province o�� je suis n��. J'��tais parmi eux aussi �� l'aise et aussi garanti de fortes impressions que je le dus ��tre en face de ces bonnes gens assembl��s sous le buste de platre. Cette qualit�� des objets est d'une importance extr��me. S'ils vous agr��ent, vous vous prolongez en eux. Ils augmentent votre douleur ou votre joie; toute leur surface s'ajoute �� celle de votre sensibilit��. Si non, ils sont comme de ces gens quelconques, de qui l'on fait abstraction sans scrupule, qui ne sont jamais g��nants. Jamais l'��motion qui me br?lait ne pourrait ��chauffer les pendules ou les lithographies de Mme de la Juli��re au point de
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