Sainte-Marie-des-Fleurs | Page 6

René Boylesve
premier venu. Je continue seulement �� vous mettre �� part, comme n'importe qui.
Dites-moi, est-ce que la perspective de venir �� la maison, �� Paris, vous effraiera?
--La perspective ne m'effraiera pas.
--Vous riez. Vous n'��tes pas s��rieux. On ne sait jamais, quand on vous parle, si vous vous moquez du monde ou bien non. Je vous demande ?a parce que maman va vous inviter; vous vous croirez tenu d'accepter, et si ?a vous emb��te apr��s, vous ne reviendrez pas, naturellement, et vous serez malheureux en vous croyant impoli. Je vous connais, peut-��tre?
--Mais pourquoi vous imaginer?...
--Pourquoi? pourquoi? Mais laissez-moi donc vous dire. Parce que, s'il est possible qu'ici vous vous amusiez un peu de notre compagnie--encore que vous soyez parfois fort grincheux--�� Paris nous vous horripilerons. Papa est gros, absorb��, et dort le soir; maman est bonne; par-ci par-l�� nous avons des amis ou quelque chose d'approchant, des gens d'argent, des femmes m��diocres, des sportmen, enfin, moi que voici, pas plus attrayante que ?a, mais ayant au moins le rare avantage d'entretenir, parmi tout cela, un accord ti��de, abrit�� du grabuge, par ma qualit�� de... comment dirai-je? comment nommer une jeune fille qui ne peut semer les convoitises int��ress��es et qui est garantie de l'��clat des autres par un avenir d��termin��, ��tant fianc��e �� long terme?...
--Fianc��e?...
--Oui.
--Ah!
Elle ��vita de me regarder, en me disant cela. Mais j'��tais certain que cependant elle m'avait vu. J'ignore totalement ma contenance �� ce moment. Ce qu'il y a de certain, c'est que, tout debout, continuant �� marcher, peut-��tre �� discourir, je perdis �� peu pr��s compl��tement connaissance. J'avan?ais sans prendre garde, vers la cohue bruyante des gondoliers: ?Gondola, signore! gondola, gondola!? Ils brandissaient leurs rames et disposaient les coussins pour nous recevoir... Elle me tira brusquement par la manche:
--Mais o�� allez-vous donc?
Je ne regardais pas �� mes pieds: j'atteignais le bord du quai; j'allais faire le pas suivant dans le vide.
Je me mis �� rire tout �� coup. Elle se facha:
--Si c'est une plaisanterie que vous avez voulu faire, je ne la trouve pas dr?le, dit-elle, en faisant sa moue. Ne vous ai-je pas dit d��j�� que j'��tais peureuse?...
La sottise de cette apparente plaisanterie, et en avoir ri, m'achevaient. Ma figure devait avoir l'air d'une loque. Elle s'en aper?ut, elle crut sans doute que j'��tais pein�� de sa remontrance et de lui avoir fait peur. Elle se fit toute caline; elle me demanda pardon.
--C'est ��tonnant, dit-elle, comme vous changez de visage! A deux instants successifs, on ne vous reconna?t plus.
Je m'effor?ais de ne pas la regarder. Ses yeux et sa voix, quand ils se faisaient tendres, me fondaient litt��ralement, comme le morceau de sucre sous le th�� br?lant.
Elle poursuivit:
--C'est, dit-elle, que je vous parle de choses si peu int��ressantes! Oh! je vous ai vu d��j��, allez! quand un mot qu'on prononce vous choque ou ne vous atteint plus, c'est fini, d'un coup, vous ��tes parti. Mais je veux achever tout de m��me ma petite pr��sentation en r��gle, parce que si vous venez �� la maison, il faut que vous nous connaissiez.
Je suis fianc��e �� un monsieur tout �� fait riche. Savez-vous ce que c'est? Vous vous moquez de ?a, vous! Moi, non. Je ne me fais pas l'id��e nette de ce qu'est cela: ��tre tout �� fait riche; mais c'est une id��e vague �� laquelle je me fais. Il faut ��tre tout �� fait riche. Papa est riche seulement. J'ai toujours entendu dire que ce n'est pas assez.
J'ai vu ce monsieur deux ou trois fois. C'est un grand, blond. Il s'appelle Arrigand. Il est bien. Pour le moment, il est �� Chicago. ?a fait rire, dites, quand on est �� Venise, d'entendre dire que quelqu'un est �� Chicago. Mais non, ?a n'est pas ridicule!
--C'est en allant aux Chicagos de jadis que ce beau peuple actif a fait Venise.
--Ah! n'est-ce pas? vous comprenez ?a! Eh bien! ?a me fait grand, grand plaisir!...
--Mais, je ne suis pas si b��te...
Elle sourit.
--Oui, oui! dit-elle, mais vous auriez blagu�� mon Chicago, vous qui ne paraissez entich�� que de beaux d��bris, eh bien! ?a ne m'aurait pas du tout ��tonn��e, et, �� vous dire vrai, ?a m'aurait ennuy��e, mais ennuy��e! vous ne vous en faites pas l'id��e...
--Je veux me la faire assez pour en ��tre flatt��.
--Comme vous voudrez, fit-elle rapidement. Mais, voyez-vous, je vous en prie, ne vous moquez pas de moi... Oh! tr��ve de protestations! je sais ce dont vous ��tes capable; je commence �� vous poss��der sur le bout du doigt.
--Merci! et vous ��tes encore stup��faite quand vous me d��couvrez une lueur d'intelligence...
--Vous voyez bien! vous voil�� encore �� railler. Oh! c'est aga?ant, aga?ant! je suis dans une grande col��re apr��s vous! Mon Dieu! pourquoi est-ce que je me tue �� vous expliquer des choses que je sais bien que vous avez d��j�� saisies; vous excellez �� combler les r��ticences; vous devinez
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