Sainte-Marie-des-Fleurs | Page 5

René Boylesve
et bienheureuse: le go?t d��licat de ses paroles dans ma bouche. Mais ce fut une joie si minutieuse et si intimement tendre qu'il est bien possible que rien n'en ait transperc��.
Et, retraduisant ensuite la r��ponse de la vieille, je m'��merveillais de parler en face �� ce visage aux yeux gris, envelopp�� de foulards qui, par la suspension l��g��re de ses sourcils manifestait plus de surprise de la fa?on que lui venait la r��ponse que d'int��r��t �� la r��ponse elle-m��me.
--Cette femme dit, mademoiselle, que le sacristain seul a les clefs, et qu'il n'est pas l�� pour le moment.
On eut le temps de recevoir la r��sonance sourde de mes paroles dans l'��difice avant que ne se d��tend?t l'arc de ses sourcils. Enfin elle fit:
--Ah!... et, n'est-ce pas, monsieur, c'est bien dommage?
Nous causames le plus tranquillement du monde. Je lui dis ce qu'��tait la Piscine probatique. Toutes ces dames poussaient de petits ?ah!? �� chaque terme de beaut�� que j'employais, en parlant de l'admirable Ma?tre. Cependant j'��tais certain qu'��coutant un nouveau venu discourir, elles savaient d��j�� la couleur de mes yeux et de ma cravate et si j'avais soin de mes dents, mais nullement ce que je leur disais. A un moment, je leur fis observer que nous ��tions sur la dalle qui couvre le corps du grand homme. Elles se retir��rent toutes pieusement, et il y eut quelques secondes de silence. Elles ��taient tr��s sinc��res et voulaient ��tre ��mues des choses anciennes bien que les femmes ne soient gu��re touch��es que par le pr��sent.
Rien n'��galait l'aisance de nos propos quand nous sort?mes de Saint-S��bastien. Ces dames ��mirent le voeu de retrouver sur leur chemin un cicerone si ��clair��, me demand��rent si j'��tais ici pour quelque temps encore ou si je ne faisais que commencer mon s��jour.
--Il est ��tonnant ajouta gracieusement la jeune fille, que nous ne vous ayons point aper?u jusqu'ici.
Pouvait-on ��tre plus aimable et plus g��n��reux?
* * * * *
J'appris qu'elle avait nom Marie. Elle ��tait la fille d'un des principaux banquiers de Paris, nomm�� M. Vitellier. On la faisait voyager pour compl��ter son ��ducation artistique, car elle peignait �� l'aquarelle. Mais elle avait tr��s r��ellement du go?t. Elle s'effor?ait de penser et de juger par elle-m��me. Comme elle y avait beaucoup de difficult��, ayant ��t�� ��lev��e comme les autres jeunes filles, il se livrait en elle de perp��tuels combats qui ��taient de l'effet le plus charmant. Tout ce qu'elle abordait lui apparaissait, au premier coup d'oeil, sous la couleur dont on lui avait appris �� rev��tir les choses, mais avec une sorte de r��serve h��sitante; puis elle faisait la grimace: ?Ce n'est pas ?a!?; enfin, elle se cherchait, et si on la devinait, si on allait au-devant de sa pens��e encore peureuse, elle ��tait dans une joie, elle vous aurait embrass��. Elle avait la sensibilit�� d'une feuille au vent; elle allait, venait, ��tait ballott��e perp��tuellement, sous le coup de mille influences inapparentes qui eussent laiss�� tout calme hormis elle. Mais cette mobilit�� n'interrompait pas la continuit�� de sa grace. Elle ressemblait �� ces fleurs fragiles dont l'air agite les tendres p��tales jusqu'�� menacer d'en briser l'harmonie toujours renaissante sous les pouss��es les plus diverses.
Je sautais de l'ivresse �� des d��sespoirs accablants. J'arrivais de promenades o�� la vie, c?te �� c?te avec elle, m'apparaissait l��g��re comme la lumi��re, et mes soir��es ��taient noires et lourdes, mes nuits coup��es de brusques r��veils avec cette angoisse toujours: ?c'est fini! c'est fini! je ne la verrai plus...?
Ce cauchemar en venait �� empi��ter sur le jour; je l'��prouvais m��me tout �� coup en face d'elle, sur les quais ou dans la gondole, et j'avais des mouvements nerveux qu'elle remarquait parfois.
--Qu'avez-vous? me dit-elle un jour.
--Mais rien! lui r��pondis-je.
Il m'avait sembl�� que je n'��tais plus l��, que je r��vais seulement �� ces lagunes, �� cette lumi��re, �� cette pr��sence... Je serrais le bord de la gondole pour me faire mal avec la r��alit��, m'affirmer le v��ritable moment, l'heure bienheureuse qui s'��coulait. Elle me vit et me dit s��rieusement:
--Oh! vous ��tes fort!
Non! l'apparence ��tait par trop stupide: j'avais eu l'air de faire la parade avec mes muscles! Rien ne pouvait m'��tre plus d��sagr��able; je me hatai de rire et lui dis:
--Non! Non! Ne croyez pas! Mais il me passe parfois des id��es mauvaises que j'��crase comme cela.
--Oui, oui! fit-elle, cela m'arrive aussi.
Mais elle n'avait pas ��t�� choqu��e de la premi��re interpr��tation. J'aurais pu avoir cette vulgarit�� sans lui d��plaire.
En traversant la Piazzetta, elle s'approcha doucement de moi et me dit:
--On peut vous parler �� vous comme pas �� tout le monde, n'est-ce pas?...
Et �� cause du mouvement que je faisais:
--Bon! vous allez trouver banal qu'on vous mette �� part, �� pr��sent, parce que ?a se fait en faveur du premier venu �� qui l'on parle, me direz-vous... Eh bien? que votre modestie, monsieur, s'arrange donc du traitement de
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 77
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.