Sacountala (1858) | Page 4

Théophile Gautier
tombée ses
genoux.
Ces menaces répandent la consternation parmi les jeunes filles et les
brahmatcharis, qui connaissent la rancune et le pouvoir de Durwasas.
Canoua d'un air calme rassure sa fille et dit qu'il va faire ses efforts
pour conjurer le sort. Si Durwasas est puissant pour le mal, lui est
puissant pour le bien. Il s'approche du temple, récite une formule et
jette sur l'autel une poignée de l'herbe cousâ. Le feu brille, et, dans la
fumée qui s'élève et se sépare, se dessine un groupe représentant
Douchmanta posant une couronne sur la tête de Sacountalâ. Une lueur
d'un bleu céleste éclaire ce tableau. Les malédictions du méchant
Durwasas seront neutralisées par les prières du pieux Canoua. Ce
présage heureux rassure la jeune fille et ses compagnes.
Mais l'irascible ermite, qui a regardé cette scène d'un air méprisant,
s'approche de l'autel, invoque Shiva, dieu de la destruction, répand de
l'herbe sacrée sur le feu et fait apparaître dans la fumée un tableau où
l'on voit Sacountalâ agenouillée sur un bûcher en flamme. Une lueur
rouge jette son reflet sinistre sur cette scène.
Un sentiment d'angoisse s'empare de tous les coeurs. Lequel de ces
deux présages faut-il croire? Sacountalâ d'abord laisse pendre ses bras
avec abattement; mais bientôt elle relève la tête. La courageuse jeune
fille bravera les malédictions et les présages funestes; elle ira malgré

tout retrouver au palais d'Hastinapourou l'infortuné Douchmanta, qui
peut avoir besoin de son dévouement.--Le sage Canoua l'approuve et la
bénit.
Elle va partir, mais ses vêtements sont trop simples pour se présenter la
cour. Comment faire? les brahmes vivent dans la pauvreté, et la sainte
solitude n'a pas de bazar où l'on puisse acheter de riches habits.
Canoua répond qu'il ne faut pas s'en inquiéter, et que le ciel y
pourvoira.
On commence la toilette de Sacountalâ, ses compagnes la dépouillent
de ses voiles.
Tout à coup la jeune fille s'aperçoit avec terreur qu'elle n'a plus son
anneau.
Comment désormais pénétrer dans le palais d'Hastinapourou, et se faire
reconnaître comme fiancée du roi?
--Reste avec nous, dit Priyamwada.--Non, je braverai tout, répond la
jeune femme.--N'as-tu pas l'amour du roi! dit Anousouya, il te
reconnaîtra à ta beauté; qu'as-tu besoin de l'anneau?
SCÈNE XI.
Sacountalâ, on ne l'a pas oublié, est par sa mère d'origine céleste. La
nymphe Ménaca, dont elle est fille, vient à son secours dans ce moment
suprême; les cimes des arbres s'écartent laissant passer des flots de
lumière. Les apsaras descendent du ciel apportant des étoffes en toile
de soleil et en gaze de lune; des têtes de nymphes apparaissent travers
les interstices du feuillage. Les arbustes allongent leurs branches
fleuries comme de petites mains portant des bijoux, des colliers d'or,
des fils de perles.
Sa toilette finie, Sacountalâ se prosterne devant les déesses, les génies
et les apsaras, qui remontent au ciel.

Anousouya, Priyamwada et les autres jeunes filles l'entourent et
l'admirent en la voyant si belle; certes, le roi Douchmanta ne peut
manquer de la bien accueillir, malgré le sort jeté par l'ermite: n'est-elle
pas d'ailleurs sous la protection des apsaras?
Il est temps de partir. Sacountalâ fait ses adieux à ses compagnes, son
antilope, à ses plantes chéries, qu'elle embrasse tour à tour comme si
c'étaient des êtres doués d'une âme.
Le sage Canoua, avec quelques brahmatcharis et Gautami, la
gouvernante des jeunes prêtresses, accompagne Sacountalâ, qui avant
de s'éloigner se retourne plusieurs fois et jette des baisers à ses amies.
Durwasas, qui veut contrarier l'influence salutaire de Canoua, son rival
en sainteté, laisse prendre un peu d'avance au cortège, se revêt d'une
robe de brahme, et sort à grands pas du même côté. Les jeunes filles,
qui regrettent Sacountalâ, se groupent dans des poses abattues et
mélancoliques.
FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE SECOND
Le théâtre représente la façade du palais de Douchmanta, dans la ville
d'Hastinapourou, du côté des jardins. Architecture singulière et
gigantesque, superposition de terrasses, grands escaliers monumentaux
descendant par des degrés de marbre du terre-plein sur lequel s'élève le
palais. Dans le jardin, masses de fleurs et de végétation exotique,
plantes à larges feuilles, fleurs à calices énormes. Au fond, au-dessus
de la ligne tracée par le couronnement du palais, apparaît la tour de
Megatchanna.
* * * * *
SCÈNE PREMIÈRE.
Au lever du rideau, le roi Douchmanta est assis sur un divan en forme

de trône; la reine Hamsati est à côté de lui. Les bayadères sont rangées
de chaque côte du trône, plongées dans la tristesse. Ne sachant
comment distraire le roi, le favori Madhavya prend sa guitare; aux
premiers accords, les femmes se lèvent lentement et exécutent les
danses favorites du roi. Mais celui-ci ne prête à ces divertissements
qu'une attention machinale, comme celle d'un fou regardant un
spectacle dont il ne comprend plus le sens.
SCÈNE II.
La danse finie, le
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