pas être étrangère au développement de son intelligence et de son coeur. Quelques lettres de J. Bertrand, agé de neuf à onze ans, attestent la vive affection qu'il portait à sa mère et aux siens, sans accuser d'ailleurs dès cette époque aucune intelligence exceptionnelle. Cependant celle-ci se serait manifestée de très bonne heure, d'après des légendes qui ont eu cours et qui en feraient un enfant prodige. Ce qui est s?r, c'est qu'à quatre ans il savait lire; à huit ans il traduisait le De Viris. On a dit qu'à onze ans, il aurait passé les examens de l'école polytechnique, et le fait est signalé dans une lettre de M. Blin: mais il s'est agi sans doute d'examens comparatifs, et non d'examens soutenus avant l'age, dans les conditions réglementaires et devant les examinateurs officiels. De semblables examens bénévoles n'ont pas coutume de trouver place dans un système strictement et officiellement défini, tel que celui des grandes écoles de l'état. Nous avons connu à l'Académie des sciences plus d'un enfant prodige; mais quelque facilité d'étude qui leur ait été accordée, dans l'ordre des sciences du moins, aucun d'eux n'a justifié les espérances premières: les facultés de mémoire, qui sont en général leur principal attribut, ne présagent en rien les facultés rationnelles de l'homme m?r.
Quoi qu'il en soit, il est certain que J. Bertrand fut admis, en 1839, le premier à l'école polytechnique, à l'age réglementaire de dix-sept ans. S'il en sortit seulement le sixième, ce n'est pas qu'il e?t perdu sa supériorité intellectuelle sur ses camarades; mais les rangs sont assignés, comme on sait, d'après un système de moyennes, plus favorable à la médiocrité distinguée qu'au talent hors ligne. Le rang de Bertrand fut abaissé, en raison de sa nullité en dessin et dans les exercices graphiques. Je crois même qu'au temps présent, cette nullité l'e?t mis à la queue, c'est-à-dire en dehors du classement. Voilà où conduit la prétention de tout réglementer au nom d'une justice absolue!
J. Bertrand n en conserva pas moins une primauté reconnue, dès l'age de vingt-cinq ans, parmi les jeunes gens de sa génération. Retra?ons rapidement le tableau de son cursus honorum. Docteur ès sciences dès l'age de seize ans, élève de l'école polytechnique à dix-sept ans, la facilité sans pareille de Bertrand lui permit, en même temps qu'il poursuivait à l'intérieur de l'école le cours des études et des examens réglementaires, d'affronter au dehors les concours les plus difficiles. Pendant sa première année, il acquit ainsi le titre d'agrégé de Faculté, récemment institué; pendant la seconde année, le titre d'agrégé de l'enseignement secondaire, toujours au premier rang avec dispense d'age. A la vérité, le premier concours fut une déception: la Sorbonne était hostile à ce nouveau grade; il en résulta une exclusion singulière. En fait, il fut entendu, ou plut?t sous-entendu, entre les professeurs de l'époque, que les nouveaux agrégés ne seraient jamais choisis par eux comme rempla?ants ou suppléants. Au lieu d'ouvrir aux jeunes triomphateurs la carrière, leur titre la ferma; ce fut sans doute l'une des raisons pour lesquelles J. Bertrand devint plus tard professeur au Collège de France, mais jamais à la Faculté des sciences.
Auparavant, il avait professé dans l'enseignement secondaire, d'abord au lycée Saint-Louis, en 1844; plus tard, à partir de 1853, au lycée Napoléon, où mon ami d'Alméida exposait en même temps la physique; il servit d'intermédiaire entre nous. Cependant, on ne saurait se passer des gens de mérite dans l'enseignement supérieur. Aussi Bertrand, écarté de la Sorbonne, était-il devenu ma?tre de conférences à l'école normale supérieure; puis suppléant de Biot au Collège de France. Avant de lui succéder, il fit un long apprentissage, non seulement scientifique, mais psychologique, et il racontait volontiers, sur ses relations avec son titulaire et sur la stricte économie de celui-ci, des anecdotes, que je ne voudrais pas rapporter dans cette enceinte, où Biot a figuré à son jour, dans son extrême vieillesse. Le caractère indépendant de J. Bertrand se manifesta, dès lors, par plus d'un trait; j'en citerai un seul, qui aurait pu briser sa carrière, au cours de la dure période d'oppression intellectuelle que les hommes de ma génération ont subie de 1850 à 1860. Après la mort de l'un des personnages politiques notables du temps, le ministre de l'Instruction publique d'alors jugea à propos d'ouvrir une souscription pour élever une statue au défunt. On fit passer la liste parmi les professeurs de lycée. Plus d'un laissa blanche la ligne tracée vis-à-vis de son nom. Tel fut le cas, au lycée Napoléon, de d'Alméida et de J. Bertrand. Le proviseur, mécontent, leur fit représenter la liste; nos deux amis impatientés, écrivirent en face de leur nom le chiffre définitif zéro. Heureusement le proviseur, soit touché de quelque sympathie secrète, soit plut?t effrayé et craignant pour lui-même, supprima la feuille d'inscription.
Cependant, J. Bertrand marquait
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