ma tache. Certains malveillants prétendent qu'il faut quelquefois pour pénétrer ici montrer patte blanche: sans doute on ne doit offenser personne de propos délibéré, quand on entre dans une compagnie éclairée et polie comme celle-ci; mais elle aime avant tout que chacun conserve son individualité, ses amis et sa figure propre.
Si l'honneur que vous m'avez accordé est attristé à certains égards par le souvenir des confrères que j'aurais pu trouver dans cette enceinte et qui ne sont plus, j'aurai du moins cette douloureuse compensation de rendre à la mémoire de J. Bertrand un dernier hommage: ma tache sera d'autant plus aisée que Bertrand n'a soulevé dans le monde des esprits, ni les mêmes tempêtes, ni le même ordre de sympathies que Renan: son mémorial n'expose pas celui qui le rappelle aujourd'hui devant vous, comme un pur représentant de la science, aux mêmes contradictions.
Joseph-Louis-Fran?ois Bertrand naquit à Paris, rue Saint-André-des-Arts, le 11 mars 1822. Il était fils d'un médecin distingué, de provenance bretonne. Notre confrère gardait l'empreinte de sa race, sensible à première vue dans l'aspect rond et brachycéphale de sa tête, aussi bien que dans la franche sincérité de son accueil. Sa famille était originaire de Rennes, ville avec laquelle il conserva toujours d'étroites relations. Son grand-père maternel, M. Blin, y avait laissé des souvenirs durables; patriote ardent, volontaire à l'armée du Rhin, adversaire politique résolu de Carrier à Rennes, il représenta sa ville natale au Conseil des Cinq Cents. Directeur des Postes sous l'Empire, il fut destitué en 1815. Sa vie se prolongea jusqu'en 1834; il survécut à son fils le médecin et put go?ter les prémices de l'enfance de ses petits-fils et prévoir, dans les rêves anticipés d'un a?eul, la destinée brillante qui les attendait. Alexandre Bertrand, le père de nos confrères, né à Rennes, était lui-même élève de l'école polytechnique, et il semblait destiné à l'étude des sciences exactes, lorsque l'école fut licenciée en 1815. Il dut chercher une autre carrière et adopta celle de médecin. Les liens de descendance qui existent entre les hommes qui s'adonnent à la médecine et ceux qui cultivent la science pure se retrouvent dans l'histoire de bien des philosophes, depuis Aristote jusqu'à nos jours. A cet égard, je suis aussi le successeur de Joseph Bertrand. Son père Alexandre s'occupait d'ailleurs autant de philosophie scientifique et de psychologie que de pratique. Rédacteur au Globe, il y connut Dubois de la Loire, Pierre Leroux et un certain nombre des hommes originaux et d'initiative qui prirent part à la tentative de rénovation sociale essayée par les Saint-Simoniens après 1830: tentative avortée sans doute, quant à sa formule immédiate, mais qui a laissé des traces profondes dans l'évolution de la génération qui nous a précédés. Les relations du père de Bertrand avec les Saint-Simoniens furent étroites; elles devinrent l'origine de celles de notre confrère avec les Pereire, qui ont joué un r?le si important dans l'histoire financière du second Empire.
Joseph Bertrand avait un frère a?né, plus agé de deux ans, qui marque aussi parmi les hommes de notre temps: c'est notre confrère, Alexandre Bertrand, membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Leur père ne devait pas assister aux succès de ses fils: il mourut jeune en 1831, des conséquences d'une chute, suivie d'une maladie qui dura un an. Il était agé de trente-six ans seulement; il laissait une veuve presque sans ressources, avec quatre enfants en bas age. Heureusement, c'était une personne de tête et de dévouement, qui sut les élever, leur communiquer son énergie et la hauteur de son caractère moral. Elle a vécu jusqu'à l'age le plus avancé; les amis de Bertrand ont tous connu cette femme distinguée, qui, plus heureuse que son mari, put jouir jusqu'au bout des succès de ses enfants. L'une de ses filles épousa M. Hermitte, autre confrère, que nous venons de perdre, et dont la vieillesse octogénaire a été entourée du respect des mathématiciens du monde entier. Duhamel, oncle des jeunes Bertrand, et mathématicien très distingué lui-même, depuis membre de l'Académie des sciences, où je l'ai remplacé, concourut à leur éducation, à celle de Joseph principalement, qu'il fit venir à Paris. Duhamel y dirigeait alors une institution préparatoire à l'école polytechnique. De là une séparation entre les deux frères, Alexandre étant resté avec sa mère à Rennes, où une bourse du lycée lui avait été attribuée. Malgré cette circonstance, l'enfance de Joseph ne manqua pas de soins maternels, grace à sa tante, Mme Duhamel, dont nous avons aper?u autrefois la physionomie affectueuse et un peu bourrue. Si l'on ajoute à tous ces noms d'académiciens, celui d'un autre parent, le naturaliste Roulin, qui voyagea dans l'Amérique équatoriale, on voit que J. Bertrand se trouva, dès sa première enfance, entouré de personnes hors ligne, aussi bien au point de vue scientifique qu'au point de vue moral: leur influence ne dut
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