villages voisins.
Mon p��re qui craignait par-dessus tout de me contrarier, et qui avait d'ailleurs confiance en moi, nous laissait souvent t��te �� t��te dans ces promenades. Et pourquoi aurions-nous fait du mal? Savions-nous seulement, except�� par les discours des vieilles gens, ce que c'��tait que le mal? Que pouvions-nous d��sirer de plus? Nous nous voyions tous les jours, nous nous aimions, nous nous l'��tions dit cent fois, nous voulions nous marier ensemble; nos parents le voyaient et en ��taient contents; les camarades de Bernard faisaient la cour aux autres filles de mon age, comme lui �� moi, et personne ne le trouvait mauvais: c'est le moyen de choisir son mari longtemps d'avance, de le bien conna?tre, de s'accommoder �� son humeur, ou de l'accommoder �� la sienne propre; qu'est-ce qu'on pourrait reprendre �� cela?
Maris et femmes, dans notre monde tout est jeune; comme les gar?ons n'ont point d'argent, ils ne peuvent pas courir apr��s des femmes de mauvaise vie qui leur feraient d��penser leur jeunesse et leur sant��; comme les filles en ont encore moins, et que personne n'a dix ��cus �� c?t�� d'elles, elles ne pensent pas �� acheter des choses qui co?tent cher. Un bonnet blanc, une robe d'indienne, un fichu rouge ou bleu, voil�� toute la toilette. Comment la jeunesse ne serait-elle pas heureuse?
Aussi ��tions-nous heureux, Bernard et moi, parfaitement heureux, et nous comptions bien que ce bonheur durerait toujours. Bernard ��tait un grand gar?on, leste, bien fait, d��gag��, un peu mince, qui chantait toujours, qui riait, qui m'aimait, et qui n'avait pas deux id��es en dehors de moi, ni une volont�� contraire �� la mienne. Ses parents, qui ��taient assez riches (la maison et le jardin valaient bien cinq mille francs), n'��taient pas fiers ni avares, et ils ne cherchaient pas �� contrarier ses inclinations; et quoique je n'eusse pas deux cents francs de dot �� attendre du vieux _Sans-Souci_, mon p��re, et que pour des pauvres gens la diff��rence entre nous f?t ��norme, son p��re et sa m��re n'avaient pas l'air de s'en apercevoir. Ils m'aimaient comme leur fille.
Souvent Bernard me disait: ?Ma petite Rose-d'Amour (c'��tait le nom que mes amies m'avaient donn��, justement parce que je n'��tais pas belle), je t'aime �� la folie, et les autres ne sont rien aupr��s de toi. Tu es toujours de l'avis de tout le monde, tu ne contraries personne, tu es gaie comme un chardonneret, et si mes camarades pouvaient te voir et t'entendre tous les jours comme je te vois et t'entends, il seraient tous amoureux de toi. Quand tu leur parles, je sens quelque chose qui me serre le coeur, et quand tu les regarde avec ces yeux bleus qui sont si beaux qu'il n'y en a de pareils �� la ronde, j'ai des envies de me jeter sur eux et de leur arracher un par un tous les cheveux de la t��te... Et toi, Rose-d'Amour, comment m'aimes-tu??
Je r��pondais �� mon tour:
?Mon bon Bernard, mon cher Vire-loup, je t'aime comme je peux, c'est-��-dire de toutes mes forces.
--Ce n'est pas assez,? disait Bernard.
Et nous commencions une dispute qui n'��tait pas pr��s de finir, et qui valait toujours quelque chose �� Bernard, car les disputes d'amoureux ne vaudraient gu��re si elles ne finissaient par un raccommodement, et le raccommodement par un baiser.
Pardonnez-moi, madame, de vous dire tout cela et de vous ennuyer de tous ces d��tails. H��las! c'est le temps le plus heureux de ma vie, et il me semble, lorsque je vous le raconte, boire dans la m��me tasse un reste de cr��me qu'on aurait oubli�� par m��garde. Mais ces temps heureux allaient finir.
Quand Bernard eut vingt ans et moi dix-sept, nos parents pens��rent �� nous marier. Le vieux _Sans-Souci_ commen?ait �� s'inqui��ter de nos amours, pourtant si innocentes, et, n'e?t ��t�� la conscription, il nous aurait mari��s tout de suite; mais vous savez ce que c'est que la conscription, et comme elle d��range souvent la vie la mieux r��gl��e et les projets les mieux ��tablis. Pouvais-je ��pouser Bernard pour le voir s'enr?ler six mois apr��s, prendre le sac et le fusil, et passer sept ans aux pays lointains? Il fut donc d��cid�� que nous attendrions ce terme fatal avant de nous marier.
Ce n'est pas sans d��lib��rer beaucoup qu'on prit cette r��solution. Comme les parents de Bernard ��taient riches et avaient dans leur maison trois locataires qui payent chacun cent francs, il aurait ��t�� facile de trouver un rempla?ant �� mon pauvre Bernard; car si l'argent est bien pr��cieux aux pauvres gens, encore vaut-il mieux donner son argent que ses enfants. D'ailleurs, cette ann��e-l��, les rempla?ants ��taient fort chers, vous vous en souvenez, madame: c'��tait en 1840, et l'on disait chez nous que ceux qui partiraient cette ann��e-l�� seraient tu��s �� la guerre comme au temps du grand Napol��on, et qu'il n'en ��chapperait pas un sur
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.