Rose dAmour | Page 3

Alfred Assollant
loup fut tu�� d'un coup de couteau de chasse, les chasseurs firent de grands compliments �� Bernard pour son courage, et l'on nous remit tous deux dans notre chemin. Madame, cette petite aventure a d��cid�� de ma vie.
Vous devinez ais��ment comment Bernard fut re?u par mon p��re lorsqu'il eut appris mon danger, et la mani��re dont il m'en avait tir��e. De ce jour-l��, Bernard devint notre ami le plus cher et ne nous quitta plus, surtout le dimanche. Il perdit son surnom de l'��veill�� pour celui de _Vire-Loup_, qui rappelait son courage, et mon p��re ne fit plus une partie de campagne sans y inviter Bernard, qui, de son c?t��, ne se fit pas prier, et ne me quittait pas plus que mon ombre.

II
A parler sinc��rement, madame, je crois que les belles demoiselles des villes qui ont des chapeaux de velours, des crinolines, des robes de soie, des ��charpes, des cachemires, des bagues, des bracelets, et g��n��ralement tout ce qui leur pla?t et tout ce qui co?te cher, ne sont pas moiti�� si heureuses que nous avant leur mariage, ni peut-��tre m��me quand elles sont mari��es; et je vais vous en dire la raison.
S'il leur prend fantaisie d'avoir un amoureux et de courir les champs avec lui (en tout bien tout honneur s'entend), et d'admirer la lune, et l'herbe verte des pr��s, et la hauteur des arbres, et la beaut�� du ciel, et les ��toiles qui ressemblent �� des clous d'or, et qui font r��ver si longtemps �� des pays inconnus et magnifiques, on les enferme dans leurs chambres, on tourne la clef �� double tour, et on les engage �� lire l'��criture sainte, qui est une tr��s bonne lecture, ou l'Imitation de J��sus-Christ.
Et si l'on veut agir plus doucement avec elles, on leur fait de beaux et longs sermons qui durent trois heures ou trois quarts d'heure, sur la mani��re de penser, de parler, de s'asseoir, de regarder les jeunes gens du coin de l'oeil sans en faire semblant, et d'attendre apr��s sur des chaises qu'ils viennent les chercher, soit pour la danse, soit pour le mariage, et de ne pas ��couter un mot de ces beaux jeunes gens si bien gant��s, cir��s, fris��s et pommad��s, �� moins que les parents n'aient connu d'abord s'ils sont riches ou s'ils sont pauvres, s'ils ont des places ou s'ils n'en ont pas, si la famille est convenable, et plusieurs autres belles choses qui sont sagement invent��es pour refroidir l'inclination naturelle des deux sexes �� s'aimer l'un l'autre et �� se le dire.
Tout cela, madame, est sans doute tr��s juste, tr��s bien arrang�� et tr��s n��cessaire pour sauver de toute atteinte la fragilit�� des demoiselles; mais il faut dire aussi que ce serait �� les faire p��rir d'ennui si elles n'avaient la consolation de penser que leurs m��res se sont ennuy��es de la m��me fa?on et n'en sont pas mortes, et qu'��tant aussi bien constitu��es que leurs m��res, elles n'en mourront sans doute pas davantage.
Cependant une Anglaise qui travaillait dans le m��me atelier que moi m'a souvent assur�� que les demoiselles de son pays n'��taient pas plus surveill��es que nos ouvri��res, qu'elles couraient les champs avec les jeunes gens, qu'elles faisaient des parties de plaisir, et que cela ne les emp��chait pas de se bien conduire et de se bien marier. Mais, comme vous savez, madame, chacun est juge de ses affaires, et si l'on a d��cid�� qu'en France les demoiselles baisseraient toujours les yeux, tiendraient les coudes attach��s au corps, ne parleraient que pour r��pondre et jamais pour interroger, c'est leur affaire et non la mienne.
Permettez-moi seulement de dire que j'aime mieux, toute pauvre qu'elle est, la condition d'une ouvri��re qui fait sa volont�� matin et soir, que celle d'une demoiselle qui aurait en dot des terres, des pr��s, des chateaux, des fabriques et des billets de banque, et qui ob��it toute sa vie,--fille �� son p��re, et femme �� son mari.
Pour moi, qui avais le bonheur de n'��tre pas gard��e �� vue, et tenue dans une chambre comme une demoiselle, et surveill��e �� tout instant, et ��cart��e de la compagnie des gar?ons, ni d'aucune compagnie plaisante et agr��able, je n'attendis pas quinze ans pour avoir mon amoureux en titre, qui, fut, comme vous pensez bien, Bernard l'_��veill��_, Bernard le _Vire-Loup_, mon sauveur Bernard.
Je ne vous apprendrai rien, je crois, madame, en vous disant que nos amours ��taient la plus innocente chose du monde, et que la sainte Vierge et les saints pouvaient les regarder du haut du Paradis, sans rougir. Bernard avait dix-sept ans, et j'en avais quatorze. Nos amours consistaient surtout �� nous promener ensemble, le dimanche, �� cueillir des ��glantines le long des haies ou des noisettes et des m?res dans les buissons, ou encore dans les grands jours,--jours de f��te, ceux-l��!--�� boire du lait chaud dans les
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 32
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.