champ de bataille de
Soissons, envisageaient cette catastrophe comme une sorte de
«jugement de Dieu»[55]. L'archevêque Séulf réunit à Reims un synode
des évêques de sa province, vers la fin du mois suivant (après le 27
août), pour examiner la situation. Les évêques de Cambrai, Laon,
Noyon, Senlis et Soissons y assistèrent en personne. Il fut décidé
qu'une pénitence générale serait imposée à tous ceux qui avaient pris
part au combat impie où les deux rois s'étaient trouvés en présence. La
pénitence devait durer trois ans. Pendant le premier carême, ils devaient
s'abstenir d'entrer à l'église. Les vendredis, toute l'année, et, en outre,
pendant le carême et les semaines précédant la Saint-Jean et la Noël, les
lundis et mercredis, un jeûne très rigoureux (au pain, à l'eau et au sel)
leur fut imposé[56]. Que ces prescriptions sévères n'aient pas été
observées à la lettre, surtout par les seigneurs qui, sous prétexte de
maladie ou de service d'ost, pouvaient s'en faire dispenser moyennant
des aumônes, cela n'est point douteux; mais il n'en est pas moins vrai
que ces mesures prises par le haut clergé du nord, pour fragiles qu'elles
nous paraissent, sont curieuses à enregistrer, parce qu'elles décèlent la
préoccupation bien nette d'empêcher une nouvelle guerre civile et le
désir d'assurer pour l'instant le pouvoir à l'usurpateur Raoul, tout en
laissant régner en paix le roi Charles sur ses provinces demeurées
fidèles.
Une telle solution était bien difficile a obtenir avec le caractère du
Carolingien et la turbulence des grands vassaux, sans cesse prêts à
saisir la moindre occasion pour augmenter leur puissance aux dépens
de leurs voisins.
L'élection de Raoul était l'oeuvre d'un parti peu nombreux. Les grands
vassaux ecclésiastiques de France et même de Bourgogne suivaient à
contre-coeur la détermination de leurs suzerains immédiats. La
Normandie, la Bretagne et surtout l'Aquitaine restèrent théoriquement
soumises à Charles, sans toutefois prendre les armes pour défendre sa
cause. En Lorraine, le duc Gilbert se tenait sur la plus grande réserve:
seul le comte Boson osa se déclarer pour Raoul, son frère.
Quelques-uns des diplômes délivrés par Charles sont accordés à Guy de
Girone qui se trouvait auprès de lui, en Rémois, au moment le plus
critique de la guerre civile[57]. Ainsi la Marche d'Espagne restait
fermement attachée au descendant de Charlemagne[58].
En réalité, sous le dévoûment apparent des grands vassaux du midi au
roi Charles se cachait un profond sentiment d'égoïsme: tout en se
donnant les allures de défenseurs de la légitimité dynastique
méconnue,--en faveur de laquelle, du reste, ils se gardaient bien
d'intervenir effectivement,--ils saisissaient l'occasion favorable pour
fortifier et développer leur autonomie naissante. C'était la tactique
habituelle des seigneurs méridionaux, dont plusieurs auraient été
cependant de force à se mesurer avec un Herbert ou un Raoul. En dépit
de leur prétendu loyalisme, ils avaient longtemps refusé de reconnaître
Charles après la mort d'Eudes; ils agirent encore de même, plus tard,
vis-à-vis de Louis d'Outre-Mer et de Lothaire, sans souci de la question
de légitimité.
Les documents diplomatiques conservés permettent, par leurs dates, de
donner un peu de précision à l'époque où Raoul fut reconnu dans les
différentes régions de la France.
En Bourgogne, la reconnaissance eut lieu immédiatement. Dès le mois
de novembre, l'évêque d'Autun Anselme fait une donation à son église
«pour l'âme du roi Raoul», et le roi intervient dans l'acte afin de
l'approuver et d'en fortifier l'autorité[59]. Il existe bien des lacunes dans
la série des chartes de l'abbaye de Cluny qui concernent surtout les
comtés de Mâcon, Châlon et Autun: ce n'est qu'en 924 que commence
la série des actes datés de l'an du règne de Raoul. Cette série s'étend de
la 2e à la 13e année[60]. Sens, dont l'archevêque Gautier avait
couronné Raoul, dut être une des cités les plus favorables au nouveau
roi. Il en fut probablement de même pour Dijon et Auxerre, leurs
vicomtes étant en relations étroites avec la famille ducale[61].
Beaucoup de Lorrains prêtèrent, comme Boson, l'hommage à Raoul,
dans l'automne de l'année 923. On le sait expressément pour Metz et
Verdun. Toutefois le duc Gilbert et l'archevêque de Trèves Roger
refusèrent de faire leur soumission[62].
L'archevêché de Reims était entièrement tombé sous la domination
d'Herbert de Vermandois, qui empêcha Séulf de répondre aux
démarches que Charles essaya de faire auprès de lui[63]. La province
de Reims, le Vermandois, Amiens, Troyes, les comtés de Brie et de
Provins reconnurent donc Raoul; le comte de Laon, Roger, et l'évêque
de Soissons, Abbon, l'ancien chancelier de Robert, se rallièrent aussi à
lui[64].
Les habitants des vastes domaines du «marquis» Hugues furent
assurément des premiers à accepter le nouveau souverain. A Tours, par
exemple, dès le 18 décembre 923, on datait des années du règne de
Raoul[65]. Pour Chartres, il existe un acte de la 8e année de Raoul[66];
pour Saint-Benoît-sur-Loire, des chartes de la 2e
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