Robert Ier et Raoul de Bourgogne, rois de France (923-936) | Page 6

Ph. Lauer

Lorrains un armistice qui devait se prolonger jusqu'en octobre[48]. Puis
il rentra en France, où il congédia les contingents bourguignons, ne
gardant que peu d'hommes sous les armes.
Charles ne perdit point de temps. Mettant à profit l'instant de répit que
lui laissait la trêve, il s'occupa hâtivement de lever en Lorraine de
nouvelles recrues, et aussitôt qu'il eut réussi à constituer une armée
assez puissante, rompant l'armistice, il traversa la Meuse, marcha
rapidement sur Attigny et de là contre Robert qui séjournait à Soissons.
Il arriva sur l'Aisne le 14 juin. Le lendemain, un dimanche, vers la
sixième heure, au moment où les hommes de Robert ne s'attendant plus
à être attaqués prenaient tranquillement leur repas, les Lorrains

passèrent la rivière et une bataille décisive eut lieu dans la plaine
voisine de l'abbaye de Saint-Médard de Soissons. Les troupes de
Robert ralliées à la hâte se battirent avec l'énergie du désespoir. Le
combat fut si violent que de part et d'autre les pertes furent
considérables. Robert qui luttait vaillamment au plus fort de la mêlée,
tomba frappé à mort par le comte Foubert, porte-enseigne royal, qui le
reconnut à sa longue barbe, et il fut achevé par les lances de ses
adversaires. Cette fin inattendue de «l'usurpateur» jeta le désordre dans
les rangs de ses partisans, et la victoire du roi légitime semblait dès lors
assurée quand parut, tout à coup, une armée conduite par Hugues le
Grand et Herbert de Vermandois. Un changement complet s'opéra; les
Lorrains lâchèrent pied et se retirèrent en désordre[49].
Charles était vaincu par les grands vassaux qui restaient unis dans leur
rébellion, malgré la mort inopinée de leur chef. Il essaya cependant de
se créer des intelligences parmi ses adversaires, espérant que leur
obstination se trouverait peut-être brisée par la difficulté de remplacer
Robert. Il envoya des messagers à Herbert, à Séulf et à quelques autres
seigneurs pour les engager à le reconnaître de nouveau comme suzerain.
Peine perdue. Les rebelles inébranlables persévérèrent dans leur ligue
contre le Carolingien. Ils appelèrent à leur aide le duc de Bourgogne,
Raoul, qui se décida à revenir en «France» à la tête d'une puissante
armée (fin juillet).
Charles abandonné de ses plus puissants vassaux du nord, se tourna
vers ses nouveaux sujets, les seuls qui parussent lui demeurer fidèles,
les Normands. Il envoya des messages jusqu'à Rögnvald, qui dominait
sur l'estuaire de la Loire. Les pirates se montrèrent immédiatement
prêts à saisir un si beau prétexte pour recommencer leurs incursions et
piller tout le plat pays.
Afin de les arrêter dès le début et de les empêcher d'opérer leur jonction
avec Charles et les Lorrains, les grands vassaux vinrent s'établir sur les
bords de l'Oise. Charles n'eut plus qu'à se retirer au delà de la
Meuse[50]. Les rebelles profitèrent de cette nouvelle absence, comme
l'année précédente, pour élire un roi de leur choix. On pouvait hésiter
entre Hugues, fils du roi Robert et neveu du roi Eudes, Herbert de
Vermandois, descendant du Carolingien Bernard d'Italie, et Raoul de
Bourgogne, gendre de Robert, allié aux rois de Bourgogne et de
Provence. Le chroniqueur Aimoin a donné plus tard des explications

évidemment inadmissibles sur les causes qui amenèrent à écarter les
deux premiers candidats, mais elles aident néanmoins à discerner des
raisons plus plausibles[51]. Hugues avait été jusque-là un peu éclipsé
par son père et son élection eût été un retour à l'hérédité en faveur d'une
nouvelle famille royale. Herbert s'était toujours montré perfide, rapace,
sans aucun respect pour les principes féodaux ou religieux de son temps;
enfin il était en hostilité avec Baudoin de Flandre qui avait fait
assassiner son père. Raoul se recommandait à la fois par la droiture de
son caractère et par la puissance matérielle dont il disposait. Il était en
excellents termes avec le clergé; récemment encore les moines fugitifs
de Montiérender avaient trouvé un asile auprès de lui, en
Bourgogne[52]. D'autre part les grands vassaux avaient absolument
besoin de s'assurer son concours, sans lequel--on l'avait vu sous
Richard le Justicier--ils ne pouvaient rien entreprendre contre le
Carolingien; et ses domaines étaient suffisamment éloignés pour que
Hugues et Herbert n'eussent pas à en prendre ombrage ni à craindre
pour leur propre sécurité. Du récit de l'historien Raoul le Chauve
(_Glaber_), postérieur de près d'un siècle, on peut inférer, avec une
certaine apparence de vérité, que le choix fut hésitant, surtout entre
Hugues et Raoul, et que l'intervention d'Emma, femme de Raoul et
soeur de Hugues, finit par amener un accord[53].
Le dimanche 13 juillet 923, Raoul fut proclamé roi à l'unanimité par les
grands réunis à Soissons, et couronné aussitôt à Saint-Médard par
l'archevêque de Sens, Gautier, ce «faiseur de rois», qui avait déjà
consacré successivement Eudes et Robert[54].
Cependant les esprits superstitieux vivement impressionnés par la mort
imprévue du «puissant marquis» Robert, sur le
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