ont voulu l'envisager comme un acte d'habile politique. En
réalité, Charles ne pouvait agir autrement devant l'indifférence
profonde des grands vassaux, qui lui refusaient toute aide effective pour
combattre l'invasion; et sa puissance n'en fut nullement amoindrie,
puisque le territoire concédé était un démembrement du «duché de
France», qu'il en conserva la suzeraineté et trouva même par la suite un
concours inattendu auprès de ses nouveaux vassaux[38].
Presque en même temps que cette cession eut lieu l'acquisition de la
suzeraineté sur la Lorraine, précieuse à bien des points de vue. Elle
reconstituait un tout brisé par le singulier partage de Verdun et
fournissait à la dynastie austrasienne un solide point d'appui en son
pays d'origine.
L'autonomie féodale s'était à tel point développée que pour trouver un
soutien effectif, le roi Charles en était réduit à rechercher l'alliance des
grands dignitaires de l'Église, comme l'archevêque de Reims, ou
d'hommes de naissance obscure, d'origine lorraine, comme
Haganon[39].
La première rébellion contre le pouvoir royal éclata en 920. Charles fit
preuve au cours de ces difficiles circonstances d'une fermeté
remarquable. L'archevêque de Reims, Hervé, réussit à sauver le
monarque et le seconda si bien qu'il se trouva bientôt affermi au point
de pouvoir remplacer l'évêque élu de Liège, Hilduin, son ennemi, par
Richer, abbé de Prüm, son partisan. Le traité de Bonn, signé le 1er
novembre avec Henri l'Oiseleur, auquel Charles avait eu affaire près de
Pfeddersheim, dans le pays de Worms, mit fin à cette première période
de troubles[40].
Bientôt de nouvelles difficultés surgirent. Le 31 août 921 mourut le duc
de Bourgogne Richard le Justicier, qui était, avec le marquis Robert, le
plus puissant des grands vassaux, mais aussi l'un des hommes les plus
capables du royaume[41]. Il avait lutté victorieusement contre les
Normands, et avait toujours su gouverner avec autorité ses vastes
domaines, ne craignant pas de résister aux empiétements des puissances
ecclésiastiques, séculières ou régulières, et allant même jusqu'à
s'emparer par la force des biens d'Église, comme du reste presque tous
les princes laïques de son temps, quand la nécessité s'en présentait.
Charles perdit en lui un fidèle partisan: s'il n'en avait reçu aucun
secours dans le dernier conflit avec les grands, il avait du moins
rencontré de son côté une bienveillante neutralité, et il semblait même
que celle-ci dût un jour ou l'autre se changer en coopération effective.
La mort de Richard bouleversa la face des choses. Son fils Raoul qui
avait épousé Emma, fille du marquis Robert, fut attiré dans le parti des
mécontents par son beau-père qui en était le chef. Pour comble de
malheur, Charles vit encore l'archevêque de Reims, d'abord condamné
à l'inaction par une grave maladie pendant les troubles de 922,
abandonner ensuite totalement sa cause, sans que nous puissions
démêler la raison véritable de cette défection.
La concession de l'abbaye de Chelles[42] faite par le roi à Haganon
détermina un nouveau soulèvement. Charles avait enlevé l'abbaye à sa
tante Rohaut qui était devenue belle-mère de Hugues, fils de Robert[43].
Cet acte revêtait le double caractère d'une spoliation et d'une menace.
C'était une dépendance arrachée au coeur même des domaines
patrimoniaux de Robert et donnée comme poste d'observation et de
combat à un ennemi haï et méprisé. Une nouvelle période d'hostilités
s'ensuivit. Les opérations eurent lieu en Rémois, Laonnais et
Soissonnais, et se réduisirent à des incursions de part et d'autre, à des
pillages et à des incendies. A plusieurs reprises, Charles s'enfuit, avec
Haganon, jusqu'en Lorraine, et en revint avec des troupes fraîches
levées parmi les éléments hostiles au duc ou les vassaux ecclésiastiques.
Le duc de Lorraine, Gilbert, le duc de Bourgogne Raoul, enfin
l'archevêque de Reims Hervé s'étaient rangés du côté du marquis
Robert[44].
Après la défaite de Laon, Charles fut contraint, par suite de la
dispersion totale de son armée, de chercher à nouveau un refuge au delà
de la Meuse. Les rebelles profitèrent de l'absence du Carolingien pour
secouer définitivement sa suzeraineté en se choisissant un roi parmi eux.
Le 29 juin 922, le marquis Robert fut élu roi à Reims par les grands
vassaux laïques et ecclésiastiques, puis couronné le lendemain, un
dimanche, à Saint-Remy, par l'archevêque de Sens Gautier, le même
qui avait déjà couronné le roi Eudes[45]. L'archevêque de Reims,
Hervé, alors gravement malade, mourut trois jours après, et son
successeur Séulf, choisi sous l'influence des révoltés, prit aussitôt une
attitude nettement opposée à Charles[46].
La lutte reprit de plus belle. Robert la transporta en Lorraine. Son fils
Hugues marcha sur Chièvremont, que Charles assiégeait, et le
contraignit à lever le siège[47]. Au début de 923, Robert eut l'habileté
de se ménager une entrevue, sur les bords de la Roer, avec le roi de
Germanie Henri Ier qui, au mépris du traité de Bonn, noua des relations
amicales avec l'usurpateur. Robert parvint à obtenir d'une fraction des
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