Rimes familières | Page 6

Camille Saint-Saëns
peut que l'on rie
Si vous vous asseyez près du joyeux
viveur,
Et la foule banale est aux lieux où l'on prie.
Ce mont fut un volcan: le temps l'a dévasté,
Il est éteint. Les jours
sont passés, où la lave
Le long de ses beaux flancs ruisselait comme
un gave.
Maintenant revêtu d'immortelle beauté,
Seul dans le ciel, géant de
neige à l'aspect grave,
Il n'est plus que silence et qu'immobilité.
POÉSIES DIVERSES
ADIEU
_À M. Louis Gallet._
Je pars. Le vaisseau superbe
Qui m'emportera demain
Comme un
sanglier dans l'herbe
Dort, puissant, calme et hautain.
Trouverai-je
la tempête?
Le cyclone, cet enfer?
Qu'importe! c'est une fête
De
s'évader sur la mer.
Je vais dans une île verte
Que couronnent les
volcans;
Cette île n'est pas déserte:
On y vit plus de cent ans.
Là
sont des plantes énormes,
Des feuillages d'ornement.
Vous
m'attendrez sous les ormes
En disant: quel garnement!
Les succès et

les déboires
Des artistes du moment,
Les batailles oratoires
Des
membres du Parlement,
L'Opéra, temple des gloires
Et des ennuis
mêmement,
Je vous laisse ces histoires:
Jouissez-en largement!

Moi, j'aurai pour nourriture
De mon âme et de mon coeur
Le calme
de la Nature,
L'oubli, père du bonheur!
Ce sont voluptés réelles;

Et je m'embarquerai sur
Les triomphantes nacelles,
Bercé par la
mer d'azur
Où les poissons ont des ailes!
EN ESPAGNE
Guitares et mandolines
Ont des sons qui font aimer.
Tout en
croquant des pralines
Pépa se laisser charmer
Quand jetant dièzes,
bécarres,
Mandolines et guitares
Vibrent pour la désarmer.
Mandoline avec guitare
Accompagnent de leur bruit
Les amants
suivant le phare
De la beauté dans la nuit;
Et Juana montre, féline,

(Guitare avec mandoline)
Sa bouche et son oeil qui luit.
LE JAPON
_À Madame Judith Gautier_
Rêve de laque et d'or, le Japon merveilleux,
Planète inaccessible,
étonnement des yeux,
Brillait là-bas. Ce qu'il accomplissait naguère,

Aucun peuple n'a su ni ne saura le faire;
C'était surnaturel à force
d'être exquis;
Son génie éclatait dans le moindre croquis.
Il avait sa
façon de comprendre les choses;
Les oiseaux, les poissons, l'arbre, les
lotus roses.
La lune même, avaient des aspects inconnus
Dans son
art fantastique et vrai pourtant. Corps nus,
Ou vêtus comme nul n'est
vêtu sur la terre,
Les Japonais vivaient gaîment et sans mystère

Dans leurs maisons de bois aux cloisons de papier.
Nourris d'un peu
de riz, exerçant un métier,
Ils travaillaient sans hâte, en riant; leur
envie
Se bornait simplement à jouir de la vie,
À cultiver des fleurs,
à charmer leurs regards
Par tous ces bibelots qu'avaient créés leurs

arts.
Ils poétisaient tout; chez eux les hétaïres,
Adorables, étaient
«marchandes de sourires».
De l'Extrême-Orient ils étaient l'Orient,

Et la Chine pour eux n'était que l'Occident.

Ils sont las d'être heureux! Il leur faut l'Industrie,
Le labeur écrasant,
la machine qui crie,
Siffle, obscurcit l'azur de ses noires vapeurs,

Nos costumes sans goût, sans formes, sans couleurs,
Notre vulgarité,
nos chapeaux impossibles,
Nos pantalons, nos arts frelatés et nos
bibles.
Ils étaient jolis dans leurs habits japonais;
Sous nos
accoutrements ils veulent être laids.
Leurs femmes, d'élégance et de
grâce prodiges,
Étaient comme des fleurs se penchant sur leurs tiges;

Elles pouvaient au monde imposer leurs atours,
Changer l'axe du
beau, le thème des amours!
Mais telle qui traînait des robes de déesse

Avec nos falbalas n'est plus qu'une singesse.
C'en est fait! du Japon
il faut faire son deuil,
Tuer l'illusion et clouer son cercueil.

«L'Empire du Soleil Levant» n'est plus qu'un trope;
C'est
l'Extrême-Occident, le singe de l'Europe!
L'ARBRE
L'arbre, dont on fera des planches,
Est vivant; il lève ses branches

Comme de grands bras vers les cieux;
Avec un murmure joyeux
Il
agite son beau feuillage
Où l'oiseau plus joyeux que sage
En
chantant viendra se poser;
Il donne à la terre un baiser
De fraîcheur,
dans la forêt sombre;
On n'oserait compter le nombre
De ses
feuilles et de ses fleurs;
C'est une fête de couleurs
Quand sa verdure
monotone
S'enrichit aux feux de l'automne
De pourpre et d'or; dans
ses ramures,
La nuit, comme en des chevelures
On voit briller les
diamants
Aux yeux éblouis des amants,
Les constellations
scintillent;
Des peuples d'insectes fourmillent
Sur lui, vivent de son
sang clair,
Pur et limpide comme l'air
Qui baigne sa cime
orgueilleuse;
L'enfant, la fillette rieuse,
Malgré son âge et son
aspect
Auguste, viennent sans respect
Cueillir avec des cris de joie


Ses fruits savoureux, douce proie!
Il est la force et la beauté;
Il
est la vie et la gaieté;
À l'hamadryade pareille
Dans ses flancs se
cache l'abeille...

La longue racine, sans bruit,
Trace son chemin dans la nuit.
Elle est
l'obscure nourricière;
Tandis qu'inondé de lumière
L'arbre balance
dans l'azur
Son front verdoyant, d'un pas sûr
Elle s'enfonce dans la
fange;
L'arbre chante et rit, elle mange;
La feuille respire, au soleil

La fleur ouvre son sein vermeil;
Mais la racine vit sans joie:
Pour
que l'arbre à nos yeux déploie
Tant de charmes et de splendeurs,
Il
faut qu'au monde des laideurs,
De la pourriture fétide,
Elle plonge,
dans l'ombre humide.
La froide limace, le ver,
Toute une faune de
l'enfer
Rampe sur son écorce grise;
Elle s'insinue, elle brise
La
pierre sous son lent effort;
Dans l'oeil de la tête de mort
Elle
enfonce ses radicelles
Sans hésiter; elle est de celles
Qui ne
s'arrêtent devant rien;
Pour elle il n'est ni mal ni bien.

Oh! Dans les rayons, les étoiles
Et l'azur, à travers les voiles
Des
légers brouillards du matin,
Admirez l'arbre, le satin
Des feuilles, le
velours des mousses,
Le vert tendre des jeunes pousses;
D'un oeil
charmé voyez encor
L'éclat des fleurs et des fruits d'or:
Mais
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